BERURIER NOIR
Tiré de « Une vie pour rien ? » n°6-Novembre 2003
On a pas mal entendu parler des Bérus ces derniers temps, avec la sortie de leur DVD et surtout leur concert de reformation en décembre 2003 à Rennes. Nous avons eu l'occasion de remettre sur la table (encombrée d'un appartement quelque part dans le 13 ème ) les sujets qui nous intéressent et donner une version peut-être un peu différente de l'histoire officielle. Les forces en présence : Ben (moi quoi…), Daniel Cheribibi, François et Loran (Bérus) pour la discussion, Nilos (pote aux Bérus), Agathe et Xavi (potes à nous) pour l'écoute attentive et les interventions bien placées.
Daniel : Pour commencer la question que l'on ne peut pas éviter c'est celle de la reformation.
Loran : Ce n'est pas une reformation au sens propre du terme. On s'est retrouvé à un moment pour faire le DVD, et on a eu envie de faire une performance, un concert d'une heure. Rien n'était prévu : on a vécu une histoire forte, on a éclaté un moment car c'était important, puis on s'est retrouvé pour un projet, et les choses se sont faites, on a laissé faire. C'est comme un couple qui se sépare, se retrouve. C'est intéressant aussi parce que ça nous met en danger. On nous dit souvent, Béru, le mythe, là on refait un concert et on verra bien. On s'est donné un mois à partir de maintenant pour bosser, on fait un spectacle et puis on verra.
François : Ça s'est mis en place un peu par hasard. On travaillait sur le concert de 86 aux Trans pour le DVD, donc on s'est retrouvé en contact avec les Trans et il s'est trouvé qu'ils préparaient leur 25 ème anniversaire, ils nous ont demandé, on a dit un oui de principe et on l'a confirmé ensuite. Ce qui nous intéressait c'est le côté décentralisé, Rennes, il y a une super ambiance en Bretagne.
L : Et on gagne un très bon souvenir des Trans en 86, c'était un moment vraiment fort. On avait arrosé la salle d'eau… Depuis on en est revenu.
Daniel, Ben : Si on peut repartir un peu en arrière. Il y a un flou artistique un peu sur l'avant Béru, comment ça s'est mis en place ?
L : On était une petite famille de jeunes dans la rue lorsqu'on avait 15-17 ans, skins, punks, autonomes. Les gens ont commencé à s'organiser en squattant des lieux, en organisant les premiers concerts. Tous les groupes tournaient, moi je jouais dans Guernica, il y avait les Lucrate Milk qui ont été avec nous plus tard, c'était une poignée de gens en fait. En Banlieue Est à Pontault il y avait la ferme, c'était un lieu skins / punks où il y avait des concerts organisés, RAS ont joué là-bas, l'Infanterie Sauvage en 83-84. Le départ c'est vraiment 78 avec le concert de l'Olympia « Rock d'ici en France » avec Métal Urbain et toute la scène qu'il y avait avant nous.
B : Qu'est-ce qui vous a fait rentrer là-dedans au début ?
L : Au départ en 77 j'étais vraiment jeune, ça me faisait un peu peur, je trouvais qu'il y avait un côté un peu décadent, un peu bourgeois, « je suis un artiste, je suis aux beaux-arts, je suis punk ». Ce qui m'a branché, c'est plutôt vers 79-80 toute la vague anarcho-punk, on ne se contente pas de faire un doigt, on construit des choses, on organise des salles, des collectifs, on fait des labels, des fanzines. Je me suis beaucoup intéressé à Crass quand j'ai été à Londres pour la première fois en 79. J'ai eu le premier 45T en 79, j'ai trouvé ça hallucinant et beaucoup plus intéressant que la démarche artistico-mode-thunes des Pistols, même si la première fois que j'ai écouté les Pistols, ça m'a mis une claque.
F : Il y avait beaucoup de gens dans la rue dans le petit monde parisien des débuts du punk. C'était très mélangé, il y avait des petits bourgeois, des gens comme Alain Pacadis qui étaient des gens de la haute décadence parisienne, et puis des gens de la rue. Des mecs comme Mammouth, Fuck, on traînait dans la rue entre Harry Cover et Music Box (boutiques de skeuds de l'époque). Il y avait les mecs de La Courneuve, qui avaient le crâne rasé, des croix de Teddy Boys et qui écoutaient du rockabilly mais allaient quand même dans les concerts punk. Et ça même avant la bande à Farid. C'était vraiment mélangé, la zone à Paris, il y avait les Lucrate (ndb : Milk), on connaissait les Swingo (ndb : Porkies). C'est un groupe qui avait un super son, j'ai adoré les titres qu'il y avait sur " Paris Mix ". On devait être sur la compile avec Bérus mais on a été viré parce qu'on n'était pas assez bon. A ce concert de Swingo en 81 (en regardant UVPR ? n°5) il y avait les Vandales, une bande de bikers, qui avaient débarqué, ça faisait ambiance Kebra, la BD. Après c'est la récupération politique qui a séparé tout le monde.
Les deux premiers albums que j'ai pris à Harry Cover, c'était le premier album de Skrewdriver et le premier album des Pistols, c'était une musique de la rue, il n'y avait pas de connotation politique. Après quand Farid a créé sa bande, ça a commencé à se taper dessus pour des raisons d'étiquette : tu portes un Fred Perry… Ca a été très vite l'embrouille aux premiers concert de La Souris. On a fait un concert mémorable en 81 avec Les anciens Béruriers dont j'étais chanteur, Guernica (dans lesquels jouait Loran), Mass, La Souris, Swingo Porkies, c'était un carnage, un bordel monstre.
Toute cette scène elle n'est pas née dans des squats artistiques, mais dans la rue, au Luxembourg, dans la rue de Music Box ou aux Halles qui étaient encore un trou.
B : Les premiers squat, les autonomes, les anarcho-punks, ça vient quand ?
L : Pour moi le premier concert punk-rock dans les squats c'était à Vilin, notamment ce concert de Swingo en 81. Avant les squats étaient branchés autonomie mais pour eux les punks c'étaient des mecs stupides qui buvaient de la bière… Après il y a eu juste derrière Cascade, et là c'était une salle de concert squattée où toute la scène anglaise est venue. Avec cette salle les groupes parisiens ont commencé à bouger.
B : Avant 81 les autonomes et les punks ça n'avait rien à voir ?
F : Non. J'ai fait un manif pour une jeune allemande, Heidi qui s'était fait assassiner (la manif était à sa mémoire), on en parle dans un texte de Molodoï plus tard. Les autonomes étaient des mecs aux cheveux longs, cuirs noir et cocktails molotov dans le blouson. C'était des blousons noirs, avec des santiags et des foulards noirs, il y avait des loubards, des gars qui n'avaient pas de look, des cas sociaux.
B : Pourtant on a souvent tendance à associer les débuts des bérus aux autonomes.
F : Oui les premières imageries des Bérus, ça vient de ce qui se faisait rue des couronnes et la rue des Vilins qui était complètement squattée. Rue des Couronnes ils avaient créé la commune des Couronnes avec les drapeaux noirs tout le long de la rue, il y avait une cité d'ouvriers et les squats en face.
L : Mais tu as raison dans l'imagerie punk début 80's, il y avait la RAF, AD. Et ça correspond au punk, il y a un côté urgent, on en a marre, l'autonomie offensive correspond très bien à ça. Entre 81 et 83-84 c'était vraiment ça. Même en 85 quand on a joué sur un camion à la manif chômeur, la bande à autonomes était là.
D : Il y avait eu un article dans Actuel sur la débandade du groupe qui essayait d'évacuer le camion.
L : C'était hallucinant, il y avait plein de monde autour de nous et d'un coup il s'est passé un phénomène de masse, les gens du cortège devant ont avancé, le cortège derrière s'est arrêté, et les flics ont voulu charger, la bande à autonome a flippé, on s'est retrouvé seuls, puis les gens sont revenus quand ils ont vu que les flics n'étaient qu'une dizaine, mais il y a eu un moment de panique générale. Là tu te rends compte à quel point une manif peut être complètement manipulée.
D : « Et Hop » elle avait été enregistré en manif d'ailleurs.
L : Non c'était un délire, un mégaphone qu'on avait fait en studio. RAS avait fait un délire comme ça « et qu'est-ce tu me taffes là ? ».
D : Et par rapport aux flics, vous deviez être dans la ligne de mire, non ?
F : Disons que tout le milieu toto était noyauté. J'en ai vu plein, des informateurs. On voyait des gars qui se pointaient et peu de temps après il y avait des embrouilles. Au squat de Botzaris on avait eu une attaque d'autres squatteurs. Je suis parti car à la fin je dormais avec une barre de fer, le jour où les mecs ont dit « On va s'acheter des flingues », j'ai dit je laisse tomber. Il y avait trop de violence.
B : La violence entre les skins feufas, les reds, aux concerts des bérus (ou devant) a pas mal fait parler. Vous avez écouté toute la vague oi ! ?
L : Oui, j'aimais bien. D'ailleurs « Concerto pour détraqués » on considère que c'est notre album oi !. Le premier album « Macadam Massacre », il y a un mal de vivre qui sort, c'était ça ou le suicide. Dans « Concerto pour détraqués », c'est les premiers morceaux avec les chœurs, on l'a fait dans cet esprit … D'ailleurs ce sont les Pan-toto qui avaient fait les chœurs, c'était une bande de skins et punks connus, Batskin s'en mordait les doigts car ils n'arrivait pas à les récupérer. Il y a les clins d'œil à Orange Mécanique, directs dans « Vivre libre ou mourir », ou plus dans le comportement, le côté raya, sans étiquette et sans parti pris.
B : Mais « Concerto Pour Détraqué » c'est en 85, la politique était déjà bien arrivée dans la scène skin.
L : Oui mais pour nous la oi ! n'appartenait pas aux fafs, c'est un cri de la rue, il ne faut pas laisser la rue aux fafs. J'en veux à certains gars qui ont dit « la récupération on s'en branle ». Mais non il fallait se bouger le cul pour ne pas être récupéré. Après ça a été « un skin = un faf » et ça a été hyper long pour sortir de ça, il a fallu le sharp et d'autre trucs. Je me rappelle quand on a joué la première fois au Québec, il y avait eu une menace du Klan, la LAM (Ligue Antifasciste Mondiale) a fait la sécu, mais également le SHARP canadien qui est venu nous donner un coup de main. Il sont arrivés avec un bus, chapeaux melons, gants plombés et cannes, « On sait qu'il y a les fafs, on est là parce qu'on sait ce que les Bérus représentent ». Les fafs étaient venus une soixantaine tous en noir croix celtique, les mecs du SHARP et d'autres gens sont sortis et leur ont mis une branlée.
D : Comment ça s'est passé la rencontre avec le Québec ?
F : C'était très fort, on est arrivé dans un contexte particulier, le grand rêve de l'indépendance, et nous on montrait, d'après ce que m'a dit Sylvain de Banlieue Rouge, qu'au Québec il pouvait y avoir des groupes qui chantaient en français, qui avaient des idées, et qui pouvaient véhiculer quelque chose sur l'indépendance. Sauf que nous, si on a participé à tous ces réseaux associatifs par des interviews et les rencontres, à chaque fois on reposait le problème des indiens, des autochtones, et c'était toujours un problème. Il y a eu presque une scission dans cette mouvance, avec les gens qui se sont plus rapprochés des ambitions du parti au pouvoir, le PQ (ndlr : Parti Québécois) , et les gens qui se sont rapprochés d'une vision libertaire, en rejetant le côté nationaliste.
L : Pour revenir à la Oi !, quand je suis arrivé à Londres pour la première fois, j'avais rencard avec un pote qui n'est pas venu. Je me suis retrouvé seul, j'ai donc commencé à brancher des skins qui m'ont amené à Kensington Market , tu sentais qu'il n'y avait pas cette ambiance, même dans la oi !, tout le monde était ensemble.
B : Et après, la séparation entre les scènes punk / skin, ça vient quand ?
L : Ça a commencé quand certains skins se sont enfermés dans l'extrême droite. Avec la bande des Halles, il y avait déjà des provocations mais ça avait un côté grotesque. Farid était rebeu, son meilleur pote s'appelait Couscous Führer, c'était un peu comme les premiers punks qui portaient des croix gammées.
F : Ça se tapait dessus ceci-dit. Il y avait des punks aussi zinas que d'autres skins d'ailleurs. Le point de mire c'était Londres, tous les mois de Septembre tout le monde se barrait à Londres en pèlerinage. Wunderbach parlent vraiment de ça dans « Paris-Londres ».
B : Les Bérus donnaient l'image d'être dans un clan complètement séparé de la scène skin, comment vous voyez ça avec le recul ?
F : Jusqu'à « Concerto pour détraqué », il n'y avait pas de problème, il y avait toute la bande de skins de Pontault qui venaient aux concert, c'était mélangé, les mecs venaient voir les Bérus parce que ça racontait les mêmes histoires. Mais après avec la politisation à l'extrême, les fafs et les reds, le truc s'est durci et on a choisi notre camp. Mais il y avait des têtes qu'on retrouvait.
L : Sans aller trop loin, le mec qui est devenu secrétaire général du PNFE, il venait tout le temps chez moi à Torcy. Un moment quand il a commencé à me parler du FN, je lui ai dit de ne plus venir.
D : Il en est bien revenu d'ailleurs.
L : Moi je suis devenu végétarien en 90. Mais avec les Bérus, lorsqu'on faisait des performances, c'était moi qui mangeait la viande crue, et j'en mangeais des quantités énormes, on a beaucoup déliré là-dessus, j'avais un problème avec ça, déjà ado à 16 ans. C'est quelque chose qui m'a toujours tourmenté, de manger de l'animal. C'est pour ça que je comprends parfois ce trip de skin qui tape, qui va super loin, alors que ça ne lui correspond pas, et qui vire complètement dans les trucs Krishnas par exemple après. C'est des gens qui ont eu besoin d'aller à fond dans un truc pour se rendre compte que ce n'est pas ça qu'ils voulaient. On n'a pas tous un cerveau qui fonctionne pareil. Parfois les gens il faut qu'ils se rendent compte par eux mêmes. En faisant un bourrage de crâne politique, on n'aboutit pas forcément au résultat voulu. L'extrême droite c'est tellement aberrant, les gens réfléchissent forcément à un moment, sinon c'est vraiment du domaine de la psychiatrie. Les gens ont besoin de se mettre dans ce délire extrême car il y a un mal être, on vit dans la merde, dans un système hyper injuste, aberrant. Face à un système comme ça, les gens dérapent. Mais ce n'est pas aussi simple que ça. C'est pour ça qu'avec les Bérus, on s'est tout le temps revendiqué comme n'étant pas un parti, mais une façon de voir les choses.
F : Je mets un bémol, on vit dans la merde c'est tout relatif, on n'est pas au Rwanda.
L : Oui mais moi je me suis marié à 18 ans parce que j'avais une copine qui était à la DASS et quand j'ai vu ce qu'était la DASS, je me suis dit il faut la sortir de là. Il y a des pays où les gens vivent dans des conditions atroces, mais même à sa porte il y a des choses atroces. Un viol c'est atroce, il y en a constamment et c'est un exemple parmi mille.
F : Sur la séparation entre les scènes skin / punk, à l'époque c'était bizarre, on parlait de Bruno de Tolbiac (avant l'interview) par exemple, les Tolbiac's Toads, tout le monde disait que c'était la guerre entre les skins du 13 ème et les Bérus, en fait le bassiste de Tolbiac avait fait une première interview des Bérus à Montreuil dans un zine. On fumait des tarpés chez Nicolas, avec Bruno de Tolbiac, qui après allait faire le hools dans les tribunes du PSG. Il n'y avait pas de guerre, même si on savait qu'on n'avait pas les mêmes fans. Il avait des mecs qui traînaient à l'Oeuvre Française, complètement à la rue. Pascal a fait des participations avec eux, même s'il n'était pas dans Tolbiac's, il n'a jamais été skin.
L : Il y avait un côté encore délire, pas une implication politique à l'extrême droite encore. Tu n'as qu'à voir comment ils ont fini : avec William Sheller.
F : Et puis il y avait un respect, c'est bizarre à dire. Le fait qu'on était tous dans la rue. Quand on a sorti « Concerto pour détraqués », Bruno m'a envoyé une photo dédicacée de Tolbiac où il sont tous quai de la gare dans les wagons.
L : C'est un peu comme une bande de mômes, même si leurs chemins se séparent, le fait qu'ils aient vécu des choses ensemble à une certaine époque, qu'on se soit retrouvés dans la rue pour différentes raisons il y a toujours du respect, même si on se parlait plus après. Quand tu es un môme et que tu es dans la rue, tu es tout le temps en danger, donc tu te serres les coudes.
F : Et ensuite on a choisi un parti pris, c'est qu'on était contre la violence en général.
B : Vous aviez quand même pas mal de violence autour des concerts.
F : Oui moi je n'étais pas d'accord. Un moment quand il y a eu trop d'histoires avec les bandes, il y a eu un côté d'autodéfense, à chaque fois qu'on se déplaçait, il fallait se défendre, après ça frisait la parano et il y a eu des dérapages. Moi j'étais toujours contre le fait qu'un red-wawa éclate un petit mec parce qu'il avait un badge Oi !. C'était toujours l'histoire qu'il fallait taper les bons et pas les mauvais, les bons on savait où les trouver, on avait les photos, on avait tout. Ca a dépassé le groupe.
L : Ça a été une des raisons pour lesquelles on a arrêté. Ce n'était pas l'optique. Après c'est sûr que des mecs craignos ne sont pas rentrés parce qu'il était important qu'ils ne rentrent pas. C'est clair que quand un bras se tend je ne peux pas jouer. On peut dire ce qu'on veut sur Sham, mais en 88 ou 89 on les a vus au Québec, des skins fachos se sont pointés pour faire chier Pursey. Ils ont commencé à tendre le bras, Pursey a arrêté direct, il est descendu de scène et a été voir les mecs. On a montré qu'il y avait du monde avec lui et les mecs se sont calmés. Je trouve ça hyper important, il faut rassembler, mais pas n'importe qui non plus.
B : Après avoir parlé de la séparation entre les scènes punk / skin, comment vous vous retrouvez, pour François en tout cas, à revenir à ça, avec le dernier concert des Bérus où tu es en Fred Perry, ou Molodoï et Division Nada ensuite ?
F : J'ai toujours écouté ça comme musique. J'ai acheté le premier album de Skrewdriver, et j'avais un badge du groupe avec la boule à zéro en 78. J'étais gamin, j'avais 15 ans.
L : Moi aussi le premier album de Skrew ça m'a mis une claque terrible. Mais nous on ne pensait pas ce que ça allait devenir après, c'était un groupe punk, même si les mecs avaient les cheveux rasés. C'est sûr qu'après quand on a vu ce que c'est devenu…
B : Et comment tu y reviens donc ?
F : A un moment dans les Bérus c'était tabou, tu ne pouvais pas écouter de la Oi ! sans qu'on te prenne pour un feufa. Donc j'écoutais mes disques chez moi, j'écoutais La Souris, j'allais aux premiers concerts.
L : Moi j'ai jamais été skin, le trip entre mecs, couillus, me dérange un peu, mais tous les gars avec qui je traînais à Pontaut au début étaient skins.
B : Et comment çà s'est passé la transition au niveau des publics ?
F : Je ne me suis jamais posé la question, mais c'est une époque, vers 88, que je n'ai pas envie de revivre. Il y avait trop de violence, j'aimais le côté énergie, mais ce côté là ne me plaisait pas.
B : C'est pourtant une époque où tu as fait beaucoup de choses, avec Division Nada notamment.
F : C'est après déjà, curieusement on a eu moins de problème avec Molodoï. On a eu des gros problèmes mais on a su gérer. On a fait un concert mémorable au New Moon avec Skarface qui nous a grillés, mais on a assumé. Pour moi la fin des Bérurier Noir, c'était une libération. J'étais peut-être un peu à contre sens en affirmant une autre étiquette, mais on était dans un autre état d'esprit. On ne demandait pas la carte d'identité en entrant au concert, chacun vivait son truc, sauf qu'on avait un idéal, peut-être un peu trop utopique, qui était l'unité de la jeunesse, à la façon de Sham, Madness ou Angelic, mais on n'a jamais eu un following craignos. L'autre jour on discutait avec le RASH, et ils me disaient « Pourquoi à poil les militants ? C'est débile ». Ce qu'il ne sait pas, c'est que ce morceau je l'avais écrit pour les Bérus.
B : Et ce serait passé avec les Bérus ?
F : Si on avait fait « Camouflage » avec Molodoï on nous aurait traité de militaristes, c'est une question d'étiquettes après.
D : Plus tôt on parlait du Québec, vous avez joué autre part à l'étranger ?
L : Pas énormément, on bossait, on avait donc du vendredi soir au dimanche soir pour jouer, tu ne peux pas partir très loin. On s'est toujours considéré comme un petit groupe, ça nous a fait halluciner l'ampleur que ça a pris. Et puis on avait les textes en Français, c'était important de rentrer en contact avec les gens, et on pensait donc que ça n'intéresserait pas forcément dans les pays non francophones. On a donc joué en Suisse, en Belgique, on a fait deux concerts à Amsterdam dans les squats, et on a joué en Irlande, à Dublin. J'ai l'impression que c'est après qu'il y a eu un écho des Bérus. En 95-96, on a joué avec Tromatism à Koppi un squat à Berlin et la veille ils avaient projeté le live à l'Olympia devant la salle remplie par 400 personnes ! Les mecs hallucinaient, parce que pour eux, le punk français ça restait petit, un peu glauque…
D : Et les expériences avec Kortatu ?
L : On les a invités au Zénith à jouer avec nous. Le phénomène Kortatu en Espagne, c'était un peu comme les Bérus, ils ont lancé les premiers labels indépendants, et puis ils ont unifié. A un concert de Kortatu, tu as des mômes des vieux, tout le monde ensemble, les gars dans le public ils avaient le Béret basque et ils gueulaient « ETA Militara ». L'insoumission c'est le mot qui unit tous les basques. J'adore jouer au Pays Basque, il y a partout des maisons de jeunes squattées, autogérées par les jeunes, c'est hyper intelligent, ce n'est pas l'état qui va mettre un éducateur, qui va encadrer. Et ça il y en a dans chaque village. J'ai vu des salles entières gueuler « ETA Militara », c'était la folie.
F : Et bien j'irai pas. (rire général)
B : Tu parlais des structures crées à cette époque, beaucoup de gens qui avaient participé à ce mouvement pensent qu'il n'en reste pas grand chose.
F : Le paysage était complètement différent, on a commencé avec une première K7 live, après on a sorti du vinyle, on a ressorti les albums en K7 assez tardivement, et les CDs sont arrivés à la fin du groupe. Il y avait énormément de disquaires à l'époque, tout ça a pas mal changé.
L : Et puis il y a le fait qu'il n'y a pas eu vraiment de mouvance alternative, il y a eu des groupes qui revendiquaient certaines chose, plein de gens derrière, et finalement on a vu que le rock alternatif c'était un marchepied. Ces groupes, qu'est-ce qu'ils ont fait ? Ils ont été signer sur des majors. Avant c'était simple, pour organiser un concert, tu faisais 50 photocops, tu avais une petite salle, il n'y avait pas de problèmes juridiques. Maintenant les groupes ils sont intermittents, il faut les payer 10 000 balles… Tu ne peux plus organiser de concerts avec une petite asso. Les squats ont fait une résistance dans les années 90, c'est là qu'on a joué avec Tromatism.
F : Le label Bondage a vraiment manqué le coche là-dessus.
L : Et puis les gens étaient là, « les Bérus sont là, ils s'occupent de tout », et quand on arrête, « C'est fini il n'y a plus de rock alternatif ». Alors que ce n'était pas un groupe le rock altenatif, c'était une mouvance. Si les choses se sont écroulées comme ça c'est qu'il n'y avait pas grand chose après tout.
B : Vous avez l'air tous les deux d'accord pour dire que les groupes qui avaient signé sur les majors avaient tué cette scène, et toi François, 5 ans après, tu signes sur une Major, Sony, avec Molodoï.
F : C'était une option purement démocratique à main levée et j'étais en minorité. Dans le groupe on s'est tous posé des questions. La personne de Sony est venu la première fois au concert au New Moon, on pensait qu'on était grillé. A la même époque, avec Division Nada, on a été en dissidence avec New Rose car ils voulaient faire signer des contrats d'artistes aux groupes au lieu de les laisser producteurs, le système que nous avions mis en place pour ne pas répéter l'erreur Bondage. J'ai informé dans notre bulletin de Division Nada et dans « La Voix des Molodoï » et je me suis fait virer. On avait plus de label, on était grillés, donc on s'est dit Sony, pourquoi pas ? (rires) Et puis Sony ils nous ont fait vite trois albums, et ils nous ont virés. Mais bon ça a confirmé ce que je savais sur les Majors.
D : Et l'expérience Tromatism ?
L : Ce qui était dur dans les Bérus à la fin c'était d'être obligé de ne faire que des gros trucs. Quand tu attires 1000 personnes dans chaque ville, ce n'est plus pareil. Le fait de retourner dans une scène vraiment underground, ça m'a vraiment éclaté. Je crois qu'en 14 ans, je n'ai eu aucun article dans la presse officielle. Aujourd'hui on joue aux Trans, quand je parle c'est hyper important, toute la presse est là, alors que moi je suis le même. Ca prouve une aberration, s'il y avait une vraie presse, ce serait intéressant de voir aussi ce qui se passe en dessous.
Et puis en tant que musicien c'est une bonne initiation de se retrouver en position extrême. On vivait dans nos vans pendant 5 ans, on avait une sono voix, on a ouvert plein de squats pour jouer, on arrivait, il y avait la poussière et on jouait. Un autre côté c'est le fait que Béru continue à vendre des disques, je touche des droits d'auteurs, et je vis avec ça. C'est important que cet argent soit utilisé dans l'optique dans laquelle les gens ont soutenu le groupe. C'est l'erreur que font la plupart des artistes reconnus, lorsqu'ils commencent à s'autofinancer, ils restent en haut. Alors que justement c'est là que tu peux aller en bas, et faire ce que tu veux vraiment, ce n'est pas le gars qui bosse 8 heures par joue qui a les moyens de le faire. Dans les squats j'ai vu des groupes hallucinants. C'était important pour mon éthique personnelle de réinvestir une partie de cet argent dans une groupe. Avec Tromatism on était constamment à perte puisqu'on ne demandait rien. Tout était à prix libre.
D : Vous savez combien vous vendez d'albums ?
F : On vend encore 50 000 albums par an, tous disques confondus.
B : Tu parlais Loran de l'insoumission des Basques, tu disais par ailleurs que les groupes français n'étaient plus insoumis, tu crois vraiment que ça a changé, il y avait déjà de la soupe dans les années 80.
L : Oui mais il y avait plein de groupes qui arrachaient. Tu vois Camera Silens, même s'ils étaient un peu chiants par rapport à une partie du public qu'ils traînaient. Il y avait une émotion dans leur première démo ! C'était des vrais voyous.
B : Vous avez joué avec eux !?
L : Bien sûr. Parfois les publics Bérus et Camera se sont battus, et parfois on se confrontait, car ils abusaient un peu sur certains trucs. Mais c'était un groupe très impressionnant. Le roadie, je l'ai revu à un concert de Troma, c'était un voyou, il ne fallait pas lui parler de politique, en tout cas à cette époque. Il a un mal de vivre qu'il exprime comme ça, après soit le mec il est récupéré par des mecs craignos comme l'extrême droite et ça peut devenir un craignos, soit il est entouré par des mecs un peu plus intelligents et tout va bien. Des mecs comme Angelic Upstarts, pour eux, être dans la mouvance skin c'est parce que la mouvance skin n'appartient pas aux fascistes. Et c'est très important. J'ai vu plein de mecs mal dans leur peau qui étaient sur un fil. Suivant avec qui tu traînes, tu vas devenir feufa parce que les mecs avec qui tu traînes sont feufas, et que c'est les mecs qui t'ont hébergé, qui t'ont filé à bouffer quand tu étais dans la merde. Parfois c'est aussi con que ça, alors qu'il aurait suffi que la mouvance soit un peu plus sur le terrain, dans la rue, c'est pour ça qu'on tient à ce qu'il y ait des stands, de l'information aux concerts.
D : Il y a eu une évolution dans votre discours entre le côté noir des débuts et le côté manifeste de chansons comme « Et Hop » ou « Descendons dans la rue ».
F : Oui c'est vrai, et ça correspond à ce qu'on était à chaque époque. En 86 j'étais dans la rue avec casque et barre de fer.
L : On avait joué en fac à Tolbiac, avec la bande à autonomes, on était arrivé, on a dit on va jouer, on a sorti les amplis et c'est parti. C'est quelque chose qui se perd dans le rock, le côté sauvage, pirate.
D : Votre concert dans le métro, ça s'est fait comment ?
L : C'est un délire qu'on s'est fait, on avait annoncé qu'on jouerait dans le métro, mais on n'avait pas annoncé où.
F : Ce n'était pas un concert, on était comme les gens qui jouent dans le métro. C'était marrant, les gens nous voyaient avec nos masques, ils prenaient peur et sortaient de la rame.
L : A l'époque on était vraiment deux, il n'y avait pas les gens autour. on aimait bien ça. On avait l'optique de faire un théâtre de force, hyper compact, mobile. Quand tu vois les concerts en 83, ça se rapproche du groupe en 84, tu sens que les gens à un moment ils ont hésité.
D : Et le côté théâtre, ça s'est fait comment ?
L : Ça s'est fait au fil du temps et des rencontres.
F : Mais le premier déguisement c'est venu sur une boutade. On devait jouer à Palikao, mais ils n'étaient pas intéressés par un groupe de rock traditionnel, il fallait quelque chose en plus, j'ai donc amené une mallette avec quelques accessoires, mais à la base c'était juste un prétexte pour pouvoir jouer, et c'est resté comme les gens aimaient. Après c'est devenu un peu la surenchère, on avait nos masques, et puis après les Washington ont lancé des poireaux, les Ludwig en ont rajouté. Mais on a assumé.
L : Il y avait tellement un décalage entre les situations dans lesquelles on imagine les punks et les confettis. Mais je pense aussi qu'entre 83 et 89 ce n'était pas confettis tout le temps, on a commencé à 18 ans on a fini à 25, chaque disque correspond à une époque.
F : Si on se créait aujourd'hui , on serait peut-être un petit groupe de hip-hop, nous on était un peu caillera au début, la raya, des mecs comme Helno, Bol, Gaston c'était ça, mais à une autre époque. On jouait pour un public de petits blancs, c'est un truc qui m'emmerdait, je faisais du karaté, il n'y avait que des maghrébins, je voyais bien que dans les concerts il n'y avait pas un seul black, un seul chinois… On a essayé d'ouvrir, parler du Chili, des réfugiés vietnamiens, ce n'était pas évident de parler de ça à des punks, qui à la base n'en ont rien à foutre. « Salut à toi » c'est ça. Mais musicalement on était issus d'un certain créneau qui nous a formatés. Même si on a essayé de casser des trucs, au bout d'un moment on a tourné en rond.
L : Tout est parti de ce fait qu'à 15-16 ans on était une certaine bande, issue du punk. Après ça, tout a tourné autour de ça.
F : Mais ça dépend du contexte dans lequel tu vis, la culture qui t'a marqué.
L : On aurait pu être dans un autre contexte un autre pays et on aurait fait autre chose.