CRAZED

Tiré de « Une vie pour rien ? » n°1- Mars 1997

Etant en contact avec Didier, le créateur de CRAZED, nous avons décidé de l'interviewer, autant pour l'intérêt porté à son fanzine, qui fût l'un des premiers à publier des interviews de groupes comme Wunderbach, Snix , No class, Tolbiac's Toad, etc, que pour l'esprit qu'il a su garder et qui, je pense, nous réunit tous : en reprenant ses mots, l'esprit « ROCK ».

Peux-tu te présenter ?

A l'époque, une vingtaine d'années, créateur du fanzine CRAZED. Côté musique, plutôt branché rocab', country. Par la suite, les goûts musicaux ont évolué vers le psychobilly puis la oi ! et le punk. En un mot, le rock. Le vrai, le rebelle et pas celui qu'on trouve dans les hebdos « rock » style rock'n'folk qui chroniquent toujours les mêmes ringards. Pour eux, le rock français c'est Téléphone, Charlélie couture, Indochine…

Pour moi, ça pue, c'est du commercial… sans parler des radios commerciales qui font pareil et nous saturent de la même merde.C'est pour cette raison qu'à l'époque j'ai créé un zine pour parler des groupes dont les autres ne parlent jamais. Aujourd'hui, un groupe comme LSD a sorti depuis 79 une bonne dizaine d'albums (si je ne me trompe pas ?) dans la quasi indifférence : pour moi, ce groupe a tout compris au rock et vaut cent fois plus que ces soi-disant « rockers » !

En quelle année as-tu commencé le zine ? Quand as-tu arrêté ?

Nous sommes en décembre de l'an grâce 1980, naissance du fanzine CRAZED. Décès premier trimestre 84, 5 numéros parus et un hors-série.

Quels groupes as-tu interviewés ? Comment les contactais-tu ?

Uniquement des groupes français, pour les interviews live : Tolbiac's Toads, Wunderbach, Snix… Pour les autres, cela se faisait essentiellement par courrier.

A combien d'exemplaires tirais-tu le zine ? Comment le distribuais-tu ?

Les 3 premiers numéros à une cinquantaine d'exemplaires chacun. Pour les numéros 3 et 4 une centaine tirés en deux séries. Les 2 plus gros problèmes des zines sont le tirage et la distribution. La distribution se faisait surtout de la main à la main et aussi par courrier grâce au concours de certains fanzines qui faisaient de la pub pour CRAZED.

Quels autres zines y avait-il quand tu as commencé ?

Il y en avait des centaines qui inondaient un circuit parallèle. De tous genres, formats, qualités, du plus simple au plus triqué (ex. New Wave). Mes préférés à l'époque : Creepy Crawly (psycho/rocab'), Les Incorruptibles, Gabba Gabba Fuck, Fraction Waw Limited…

Comment était la scène à Paris ? Y avait-il des tensions entre les différents groupes/bandes ?

La scène à Paris bougeait énormément surtout au niveau des groupes qui se formaient et se séparaient, pour certains un mois plus tard ! C'était très violent entre les différentes bandes qui suivaient tel ou tel groupe. Avec l'émergence de groupes alternatifs style Bérurier noir, Guernica, Parabellum, etc est apparu le phénomène Red skins/SHARP. Tout aussi violent. Avec un look skin ou ressemblant à des psychobillies. Pour le blaireau de base, dur de faire la différence lors d'une bagarre ! Même au niveau des bandes rocab', beaucoup de bastons contre les black panthers…

Mais à l'époque, c'était surtout la chasse aux punks ! On avait trop tendance à copier l'Angleterre !

Y avait-il beaucoup de concerts sur Paris et ailleurs ? Comment y était l'ambiance ?

Il y avait beaucoup de concerts, mais surtout des petits concerts à 2 ou 3 groupes avec des sonos pourries et dans des endroits tout aussi pourris (souvent des squats). L'ambiance était pas terrible, quelques pogos et ils se terminaient souvent en bastons et en braquage de matos. Certains groupes, exemple : Wunderbach, LSD, Tolbiac's Toads étaient censurés dans certaines salles sur Paris et aussi pour des plans concerts organisés dans des squats autonomes. LSD a été interdit de concert pendant près de 2 ans par la préfecture de Paris. Pour ma part, mes meilleurs souvenirs de concerts parmi tant d'autres :

- en 1979, concert punk au Palace de Stiff Little fingers. Je découvrais l'ambiance punk dans les concerts (pogos, crachats…), un choc !

•  Madness à Beltard (Nogent/ Marne) super côté musique… mais surtout le souvenir d'une des premières bastons entre skins français et anglais qui avaient accompagné le groupe.

•  Crazy Cava à l'Olympia en 1981 : La salle était pleine de Teds… un concert de légende pour le fan de rocab'

•  Meteors en 83 à Sorano (Vincennes). Ce que j'ai vu ce soir-là correspondait à l'idée que je me faisais du rock'n'roll dégénéré… basé sur l'essentiel voix-guitare-basse-batterie.

•  Les Peter and the test tube babies à l'opéra Night (Paris) en juin 84. Le public était surtout composé de skins, très bonne ambiance mais très violente à l'extérieur.

Avais-tu des contacts avec la province ? Les autres pays et spécialement l'Angleterre ? Y alliez-vous voir des concerts ou acheter des disques ?

Le contenu du zine était axé sur les groupes français et plus particulièrement sur ceux de Paris et de la région parisienne. Le manque de contacts en province (mis à part dans l'est) ne facilitant pas la tâche de pouvoir diversifier les numéros. Sinon quelques séjours en Angleterre, mais limités à cause de l'argent.

Dans ton zine, tu parlais des punks, des skins, des rockers. Etait-ce lié ? Plus que maintenant ?

Non pas vraiment, le trip rocker est en bandes, histoires de tribus… Pour ma part, je traînais aussi bien avec des rocab', des punks… Dans la chanson « une cause à rallier » de LSD, j'aime bien le passage « … sur le front à l'avant garde, y'a que les meilleurs, tous les punks et les rockers, les skinheads et les autres… ». C'était ce que je pensais à l'époque, le vrai ennemi était la société.

Les groupes interviewés étaient-ils politisés ? Que penses-tu de l'évolution politique de certains groupes oi ! interviewés ?

Oui et de toutes tendances politiques. De toutes façons, je n'en avais rien à foutre de leurs idées. Soit on fait de la musique, soit on fait de la politique, pas les 2 en même temps. A la rigueur, faut mieux écouter des groupes étrangers comme ça on y comprend rien, c'est aussi bien ! Cela dit, j'ai mes idées et cela ne regarde que moi. Je faisais un zine sur la scène rock du moment et non sur la politique. Pour certains, exemple le fanzine « on est pas des sauvages », toutes les 2 pages on parlait de politique. Je considère un zine comme un outil de communication et de promotion pour les groupes. Un point c'est tout ! De toutes manières, ce genre de fanzine papier glacé, imprimerie était subventionné par une marie ou par une association politique. J'aime mieux faire un zine avec des photos mal reproduites, des textes pas droits (ça fait rock !) plutôt que de devenir des putes et perdre son indépendance. Pour les idées et l'évolution politiques des groupes oi !, c'est un vaste sujet ! Le mouvement skin rassemble beaucoup d'opinions différentes et pour les connards d'intellos, médias… le skin de base passe pour un débile, rasé, extrémiste porté sur la baston et la bière.

Est-ce que les disques étaient importants ? Est-ce que vous en achetiez beaucoup ?

Oui, à l'époque, la production de 45T était importante et aussi pas mal de compiles. Beaucoup de K7 circulaient aussi et pas toujours de très bonne qualité mais aujourd'hui ces K7 sont les seules traces audios pour des groupes souvent éphémères. J'achetais pas mal de disques aussi bien rocab', psychos, oi !, mais j'en recevais aussi gratuitement grâce à l'intermédiaire du fanzine.

Est-ce que les disques les plus rares aujourd'hui sont ceux qui se vendaient le mieux à l'époque ? (par exemple, le EPs de Tolbiac's Toads ou R.A.S.)

Tout à fait, la plupart des disques étaient autoproduits et tirés pour certains à 1 000 exemplaires, voire moins, ex 500 exemplaires pour le premier 45T de LSD vendu seulement de la main à la main et désormais introuvable.

L'autoproduction était formidable pour les groupes qui débutaient, aucune imposition que des choix personnels.

Certains dessins du zine portent sur le foot. Etais-tu supporter ? L'es-tu toujours ? Quel club, tribune ?

Oui, j'étais supporter du PSG (je le suis toujours). Le PSG représentait pour moi Paris avec tout ce que cela entraîne. En tribune, Boulogne (aujourd'hui en tribune A) toute une histoire qui en a fait une légende. Un de mes grands souvenirs dans cette tribune : c'était le 29 février 84, match amical France/Angleterre. Violentes bagarres dans les tribunes, autour du parc et dans le métro. Plein la gueule les Rosbifs !

Quels liens y avait-il entre le public musical et les supporters ? Ces liens étaient-ils plus important à Paris qu'en province ?

Pas vraiment de liens entre la raya de l'époque et les supporters. Mis à part les skins, ils faisaient la loi et la violence devenait une habitude, je voyais mal un punk se pointer au parc. Pour la province ? Euh ? ! Toujours un train de retard ! Je n'ai rien contre les provinces. Au contraire, c'est la diversité des provinces qui fait la force de la France.

Est-ce que tu continues à suivre la scène actuellement ? Qu'en penses-tu ? Sinon, pourquoi as-tu arrêté ? As-tu gardé des contacts ?

De très loin, heureusement que David à l'amabilité de me tenir au courant. A l'époque, une immense vague rock déferlait sur la France , zines, groupes, labels indépendants, radios… des tas de gens qui faisaient que tout ça était diablement existant. Il y avait beaucoup d'émissions rock sur la FM , aujourd'hui le vide et le peu de rock qui y passe, seul des groupes du style Foo Fighters, Therapy, etc accrochent à mes oreilles.

J'ai arrêté la réalisation de CRAZED tout simplement parce qu'il y a eu la naissance de mon fils. Je n'ai pas vraiment gardé de contacts mis à part 2 ou 3 copains de l'époque.