DEVIL SKINS

Tiré de « Une vie pour rien ? » n°4-Juillet 1999

Bellinzona se trouve en Suisse (italienne) mais quand on arrive d'Italie (à une demi-heure de voiture de Come et pas beaucoup plus de Milan), on n'est pas dépaysés: les maisons, la chaleur étouffante, la pizza partagée avec Ivano et Gianni tout en parlant Italien ne changent pas vraiment de Come où nous avions rendez-vous trois heures auparavant. Les seules différences lorsque l'on passe la frontière sont la présence tolérée des coffee shop (plus discrets qu'à Amsterdam) et des maisons closes…

Plus que ses trois châteaux forts surplombant la ville, je retiendrai de la ville deux points centraux: le bar l'Asterix (dont nous aurons le temps de reparler) et la cave de l'immeuble de Gianni. Nous avons là Omar, le batteur, improvisé au chant également sur la plupart de leurs enregistrements lorsque ce n'est pas Giovanni, le guitariste et son inséparable casquette, et puis bien sûr Gianni le bassiste formateur du groupe, l'homme qui s'occupe des correspondances également bien qu'il ne parle pas un mot d'anglais. Il a donc été contraint de demander à Ivano, ex-chanteur d'Asociale, de les rejoindre, il avait tout pour lui: il n'habite pas loin (à Come), il parle anglais, il est capable de rentrer chez lui quelque soit son taux d'alcoolémie (il doit avoir le pilote automatique dans sa voiture) et vu son grand âge il connaît tous les classiques oi! italiens par cœur. La batterie, le micro branché sur un ampli, chacun a ramené son matos, le seul “luxe” est un lecteur-enregistreur de mini CD qu'ilsont “emprunté” un soir où ils étaient bourrés dans le squat municipal à des hippies tellement assommés par la techno et l'herbe qu'ils ne s'en sont même pas rendus compte…

La répète commence fort avec “Piara indecente” de Decibelios suivie de nombreuses reprises avec Ivano toujours au chant: bien sûr le répertoire de Asociale y passe “Spacca la strada”, “Niente politica solo oi!”, “Hoxton Tom for president”, mais également “Diritto al lavoro” e “Sangue in gradinata” des Gangland, une petite improvisation de “violence in our minds” et “chaos” et bien d'autres. Les anciens morceaux du groupe y passent également mais quand viennent les nouveaux morceaux (sans chant pour l'instant), je suis vraiment impressionné. Le niveau n'a plus rien à voir et je ne serais pas étonné lorsque Gianni me dira que depuis quelques temps il écoute les Templars toute la journée et il a bossé en conséquence sur sa basse.

Enfin bon tout ça, c'est bien beau mais il fait soif! Et quel meilleur endroit pour parler du groupe que l'Asterix. En effet, l'unique barman est Pino, le roadie (“il prend des vacances dès que nous jouons”)/ manager/ producteur ( la Pino Tape production) du groupe, ce qui a pour conséquence immédiate que le groupe, leurs amis/ invités (hé hé) ne payent rien!!! Le bar est un des rendez-vous des jeunes de Bellinzona, et nous y verrons d'ailleurs le premier chanteur du groupe. En effet, quand le groupe se forme, il y a trois ans, en plus de Omar et Gianni, Flavio est au chant et sa copine Sara à la guitare, les membres du groupes sont donc tous skins à l'époque, ce qui les amènent à choisir le nom Devil Skins “pour l'image du diable qui est souvent associée aux skinheads, et puis, ça sonnait bien”, à l'époque, Gianni ne connaissait pas de groupes français… Ils ont alors 17 ans, sont tous au lycée et un peu isolés (ils sont les seuls skins à Bellinzona) mais ils sont décidés à ne pas suivre la masse: “nous voulions porter un message alternatif à la vie en discothèque et à la mentalité bourgeoise, mais aussi nous amuser et amuser les gens qui viennent nous voir”. Après quelques temps, Giovani remplace Sara à la guitare et six mois après sort leur démo, elle contient 7 titres, moitié oi! moitié ska. A présent ils ne font plus de ska car “il faut le laisser à ceux qui savent le faire, le ska rend bien avec une formation complète, sax, trombone…”. Flavio part ensuite du groupe suite à différents problèmes relationnels (ils ne se parlent plus encore aujourd'hui). Ce qui ne les empêche pas de continuer à jouer et organiser de nombreux concerts: “Ici, il est difficile d'organiser quelque chose, nous avons quelques endroits mais nous devons nous occuper nous-mêmes de tout, il faut s'impliquer. L'année dernière, nous avons réussi à faire venir plusieurs groupes italiens. Le premier concert que nous avons fait était Reazione +Los Fastidios au centre social de Lugano (la plus grosse ville des environs, son centre social est très connu pour les nombreux concerts qui y sont organisés), il y a eu environ 800 personnes, ce qui est énorme pour la région, même s'il y avait beaucoup de gens “normaux”. Nous avons fait venir également Billy Boy, Impossibilli et d'autres…

Nous avons joué une vingtaine de concerts dont 2 en Italie: le raduno (rassemblement) punk oi! à Reggio Emilia et un à Gênes. Le meilleur était celui de Reggio Emilia, c'était en plein air et c'était le premier concert en Italie où Ivano remontait sur scène. Il y avait 400 personnes dans le public, les gens ne nous connaissaient pas mais nous avons joué après quelques groupes plus connus, quand les gens commençaient à rentrer dans la salle. Et quand Ivano est monté sur scène, tout le monde est venu, peut-être plus que pour les gros groupes italiens du concert. Nous en avons profité pour reprendre quelques classiques qui ont marqué l'histoire du punk et de la oi! italienne, tout le monde chantait avec nous…”

Depuis, ils ont sorti leur EP avec 3 titres (dont un avec Ivano au chant) chez Passatore Rds (le label de Betty et Riccardo/ Reazione) mais ils n'ont pas mis la chanson “Bellinzona Bruscia” qui est pourtant la plus populaire de leurs chansons comme me le disait Gianni:

“c'est notre hymne lorsque nous jouons en Suisse. Nous l'avons mis sur notre CD autoproduit destiné uniquement à la promo. Peut-être nous l'enregistrerons plus tard, comme certains vieux groupes reprennent leurs vieux morceaux avec de nouveaux arrangements. La chanson n'est pas contre la ville que nous aimons et dont nous sommes fiers (Gianni a l'emblème de Bellinzona tatoué sur le mollet), mais contre la mentalité d'ici: dès que l'on fait un peu de bruit, les gens appellent la police.”

Allez savoir si c'est à cause de cette chanson ou, plus probablement , de leur nom, le groupe a eu les “honneurs” de la presse avec tout d'abord une interview dans un journal local:

“Ils faisaient un reportage sur les fascistes, très nombreux à Lugano et se sont intéressés à nous quand nous avons joué au centre social de Lugano. Nous leur avons expliqué que nous étions skinheads mais que nous ne faisions pas de politique”

Ils ont même fait un passage d'une trentaine de secondes à la télé suisse où on les voit notamment en répète.

“Cela ne me plaisait pas tellement au départ mais finalement nous nous sommes dits que si cela permet à certaines personnes de savoir la vérité: ce n'est pas parce que nous sommes skinheads que nous sommes fascistes!”

Quelles ont été les retombées?

“Quelques personnes sont venues me voir dans la rue et m'ont dit: Ah mais j'avais toujours crû que tu étais fasciste. Les gens jugent sans savoir. Je n'ai jamais voulu porter un insigne SHARP car je ne suis pas skinhead-anti-raciste, je suis skinhead, c'est tout. Si les gens ne veulent pas comprendre, c'est qu'ils sont stupides, s'ils ne savent pas, c'est qu'ils sont ignorants !

Quand nous avons joué au Peter Pan, le patron nous a dit, c'est bon, je m'occupe des flyers et il a écrit: Attaccabrighe (Florence) et Devil (Bellinzona). Alors j'en ait fait un autre avec la vieille photo des skins contre le mur et la montagne de docs devant, et j'ai mis les photos de Giovani, Omar, Pino et notre pôte Siete (qui est black), sur le skin crucifié. “

Pino, puisqu'on parle de toi, un altra birra! il va bientôt être l'heure de se quitter, le temps de parler un peu du futur. Le titre “Ultra” qui figure sur notre EP a été enregistré en même temps que les titres de leur EP que vous avez peut-être déjà eu l'occasion d'écouter mais leurs prochaines sorties devraient être meilleure encore et je vous conseille d'y prêter au moins une oreille.

“Les titres que nous avons enregistrés nous plaisent mais plus nous avançons, plus nous essayons de faire quelque chose plus technique, plus évolué, même si ça ne me dérange pas de jouer de temps en temps des morceaux plus simples comme ceux de la démo”

Et pour finir, vos objectifs pour le futur?

“Faire avancer un style, une idée, mais nous ne voulons convaincre personne. Si les gens veulent nous suivre, OK, mais sinon ce n'est pas un problème, nous serons toujours amis, nous pensons surtout à nous amuser.”

 

INTERVIEW IVANO (Chant)

Peux-tu te présenter ? Comment as-tu connu la scène oi! / skin ?

Je m'appelle Ivano et je suis né il y a 29 ans dans une petite ville du nord de l'Italie appelée Como. J'ai commencé à écouter du punk vers la moitié des années 80 et j'écoutais de tout mais surtout des groupes italiens. Ainsi, quand un ami m'a donné une cassette avec quelques morceaux de Nabat et de 4Skins, je suis devenu passionné de oi! music. Après une paire d'années à écouter ce type de musique, j'ai décidé de me raser la tête: désormais j'étais trop passionné par certaines choses et la meilleure chose pour moi était de devenir skin !

Maintenant, tu as 29 ans, quelles sont tes motivations ? Tu as vu beaucoup de gens raccrocher, au moins ceux de ton groupe, non ?

Les motivations sont toujours les mêmes que lorsque j'ai commencé, rien n'a changé. Bien sûr, j'ai vu beaucoup de gens raccrocher et je dois dire que, surtout lorsque j'ai vu partir les gens qui jouaient avec moi, je l'ai vraiment très mal pris car c'était des personnes avec qui j'avais partagé tellement de choses. Vers la fin des années 80, il y avait de nombreux skins à Como, mais la plupart se sont révélés des bouffons qui ne sont pas restés plus de 2 ou 3 ans. En 92, nous étions seulement 4 skins dans la ville, mais je pensais que nous étions les meilleurs et que nous le resterions toute la vie, donc, quand j'ai vu que même eux raccrochaient, ça a été terrible pour moi !

Comment as-tu connu les Devil skins et comment as-tu commencé à chanter avec eux ?

J'ai connu les Devil Skins dans ma ville, à un magasin qui vend des fringues skin. Après quelques temps, ils m'ont invité à chanter sur quelques reprises à un concert qu'ils devaient faire à Bellinzona. Le concert fut un désastre, à peine je chantais la deuxième chanson, la police est arrivée et nous a fait arrêter, mais ça a été le début d'une belle collaboration.

Les autres Devil Skins sont plus jeunes que toi, est-ce que ça te pose un problème ?

La différence d'âge n'est pas un problème pour moi. On peut avoir 20 ans et être OK ou avoir 30 ans et être un parfait imbécile ! Et puis les garçons de 20 ans ont des copines de 20 ans, Ah, Ah.

Parlons un peu de Asociale à présent, pourquoi avez-vous splitté ?

Asociale a splitté car nous commencions à avoir des divergences musicales, et plutôt que de continuer à faire des choses qui ne plaisaient plus à toutes les composantes du groupe, nous avons préféré nous arrêter. Personnellement, j'ai toujours voulu faire de la oi! à 100%.

Qu'as-tu fait depuis ? Et les autres ?

Depuis que le groupe a splitté, j'ai continué à suivre la scène, à aller aux concerts, à acheter des disques, à aller boire au pub, à faire tout ce que fait un skinhead ! Le guitariste et la bassiste d'Asociale, qui étaient fiancés, sont partis habiter dans le piémond, près de Ivrea, et n'ont plus aucun lien avec la scène skinhead. Le batteur, après qu'Asociale ait splitté, a formé avec un bon ami à moi un groupe punk qui s'appelle Erode, excellent musicalement, mais trop engagés à gauche à mon goût. Il a également un Vespa de 59, une Lambretta de 64 et fréquente la scène scooteriste. C'est également un grand fan du club de foot de Como.

Quand tu parles d'Asociale, tu dis toujours “mon groupe”, alors que vous avez splitté depuis longtemps, ce sera toujours “ton groupe ?

Je dis “mon groupe” car je suis un des fondateurs et je suis resté jusqu'au split. Maintenant les Devil Skins m'ont demandé d'entrer définitivement dans le groupe et j'y pense très sérieusement...

Finalement, vous n'avez pas fait grand chose avec Asociale, seulement 4 chansons ont été publiées, comment expliques-tu que le groupe ait été si populaire ?

La réponse est très simple; à cette période en Italie il y avait très peu de groupes oi! et très peu de possibilités de faire des concerts, ainsi les rares groupes qui existaient à cette époque sont devenus très populaires.

Quelles sont tes meilleurs et tes pires souvenirs avec Asociale ? Comment vois-tu cette période avec quelques années de plus ?

Avec Asociale, Heureusement, je n'ai que des bons souvenirs. Nous étions très proches, nous sortions toujours ensemble, quand il y avait un concert, même lointain, nous organisions toujours un déplacement. Mon unique regret est que nous avons été actifs à une période où il était très difficile de sortir un disque ou de trouver un local prêt à accueillir un groupe oi!. Maintenant, en 1999, ce serait beaucoup facile...

Avec le recul, je pense que je referais tout ce que j'ai fait !!!

Beaucoup de groupes italiens qui n'étaient pas politisés (Nabat, KK, Rough, Los fastidios...)ont pris une orientation plus ou moins à gauche par la suite, comment l'expliques-tu ?

Honnêtement, je ne connais pas les motifs pour lesquels quelques groupes ont un peu changé sur le plan politique. Cependant je ne pense pas que ces changements suffisent à définir ces groupes comme “de gauche”; Les groupes reds italiens sont bien différents... Personnellement je n'ai jamais rien eu à foutre de la politique, je n'ai jamais eu besoin de ça pour me sentir skinhead et je pense que les groupes et tout le mouvement doivent rester en dehors de la merde politique !!!

Comment vois-tu le futur?

En ce moment, de nombreux groupes punk oi! se forment en Italie et je pense que, s'ils continuent et réussissent à s'unir aux groupes déjà existants, nous aurons à nouveau un bon mouvement. En ce qui concerne mon futur, j'espère seulement continuer à m'amuser comme je l'ai fait jusqu'à maintenant. oi!