DROPKICK MURPHYS

Tiré de « Une vie pour rien ? » n°6-Janvier 2003

Alors Matt, est-ce que tu peux te présenter ?

Eh bien, je m'appelle Matt Kelly et je suis le batteur des Dropkick Murphys .

Quand as-tu commencé à jouer avec eux ?

En 1997. J'allais souvent les voir dans les clubs autour de Boston en 1996/1997. Ils sont rapidement devenus un de mes groupes favoris. Et puis un jour, alors qu'on jouait avec mon groupe de hardcore à un de leur concert, ils m'ont proposé de faire un essai pour eux. J'étais super content ! J'ai donc essayé, ils m'ont trouvé bien et donc je suis dans le groupe depuis avril 1997.

Tu as donc joué dans d'autres groupes avant ?

Oui, dans Fit for Abuse, dans un style très hardcore américain, du genre Slapshot, Negative Approach …On joue depuis 1994/95 - mais plus tellement maintenant - parce que Dropkick Murphys me prend beaucoup de temps. J'adorais toute cette vague hardcore, même si ce n'est plus ce que j'écoute ces derniers temps. J'ai aussi joué dans Hatcheface, c'était du hardcore bien gras, lourd et rapide à la Poison Idea, et dans bien d'autres groupes…

Est-ce que les Dropkick Murphys avaient déjà sorti des morceaux quand tu es arrivé ?

Oui, ils avaient la compil « I've got my friends », les split EPs avec les Ducky Boys et les Bruisers , le EP « Boys on the docks » qui est réellement sorti après mon arrivée, et quelques autres trucs. Ils avaient été en studio 2 ou 3 fois.

Le premier single et d'autres enregistrements sont sortis sur le vieux label de Ken : Flat Record.

Oui, Flat Record a commencé avec la compil « I've got my friends » réunissant des groupes de Boston et de San Francisco, et le split avec Ducky Boys. Je crois que c'est tout. Les autres disques sont sortis sur Cyclone Rds, GMM Rds, Pogostick Rds

Comment lui est venu l'idée de faire ce label ? Il s'en occupe à nouveau depuis peu, non ?

Flat Rec  ? C'est juste parce que personne ne l'aurait fait à ce moment là. Il a monté ce label en 1996 et a commencé à sortir des groupes du coin. Quand j'ai rejoint le groupe, je l'ai un peu aidé. Mais il a arrêté de s'en occuper il y a quelques années parce qu'il n'avait pas le temps d'apporter l'aide adéquate aux groupes du label - on n'avait pas le temps d'en faire la pub, ni d'appeler des distributeurs. Donc ça ne valait plus trop le coup de continuer. Il s'en occupe à nouveau et sort des groupes internationaux : Beerzone, Runnin'Riot

Les premiers singles doivent être très rares - des collectors ! Es-tu collectionneur ?

Oui, j'aime bien collectionner les disques. Je pense que le plus rare et plus cher de nos disques est « Fire and Brimstone » sur Cyclone Rds. Seules 200 copies sur vinyle rouge et 800 sur noir ont été faites. Mais je ne pense pas qu'ils valent vraiment beaucoup d'argent. Tu sais, on est un groupe relativement récent, ce sont les vieux groupes qui ont des disques collectors. C'est juste nous, vous ne devriez pas payer si cher pour avoir un de nos disques, même s'il est rare.

A cette époque, vous ne jouiez pas autant de morceaux mélangeant musique irlandaise et punk ?

Détrompe-toi ! Le premier morceau que le groupe a écrit, c'est « Barroom Heroes » et il y avait déjà de la cornemuse et des influences irlandaises. Mais c'est vrai qu'à cette époque, on n'arrivait pas à trouver de gens qui puissent jouer de la mandoline, de la cornemuse ou de la flûte à plein temps avec nous, parce qu'on ne connaissait pas tant de monde que ça qui en jouait en dehors de notre voisinage, et puis on ne partait pas souvent en tournées. On a pourtant tenté d'écrire pleins de morceaux qui n'ont jamais vu le jour.

Quels genres de morceaux ?

Des morceaux avec des influences irlandaises, du genre « Caught in a jar ». Lorsque je suis arrivé dans le groupe, ils avaient des morceaux dont ils ne savaient pas trop quoi faire. On les a alors rassemblés, mais ils ne sont pas faciles à jouer en live. On ne veut pas avoir de morceaux sur disques qu'on ne peut pas présenter en live…

Comment est venue cette idée de mélanger punk et musique irlandaise ?

C'est l'idée de Ken ! Quand il a créé le groupe, il voulait mélanger les musiques qu'il aimait, les Pogues et divers trucs…

C'est Ken qui est à l'origine du groupe ?

Oui, il a créé le groupe, donné le nom et le style, écrit les premières chansons quand il avait 26 ans. Ce groupe, c'est son idée !

Est-ce qu'il a joué dans d'autres groupes avant ?

Non, il a appris la basse 3 semaines avant de commencer. Il a toujours dit qu'il n'était pas musicien, et c'est vrai qu'au début, il avait sur le manche de sa basse des petits papiers pour indiquer les notes (rires)…Mais maintenant, il est devenu un bon bassiste, et il a toujours écrit de bonnes paroles et de bons morceaux. Il s'améliore de jour en jour. C'est chouette, parce que c'est quand même le premier groupe avec lequel il joue ! Il faisait la promotion pour d'autres groupes avant, mais il n'avait jamais joué.

Y avait-il d'autres groupes qui faisaient ce genre musical avant vous ?

Les Pist'n'Broke d'Irlande, les Pogues bien sûr…mais pas tant de groupes que ça, en fait ! On n'essaie pas de dire que c'est notre idée, ce n'est pas une idée forcément innovante…Ken adore la musique irlandaise et le punk, ça l'a donc amené vers ce style. Moi, à vrai dire, j'aime beaucoup les Pogues, mais ça me fatigue quand même assez rapidement, et quand j'ai rejoint le groupe, ils ne juraient que par les Pogues …(rires).

Real McKenzies, dans un genre plus écossais peut-être, a commencé avant vous ?

Je ne sais pas. Je les ai entendus pour la première fois en 1998/99. Ils avaient peut-être des projets similaires aux nôtres…Je ne les ai pas entendus depuis quelques années.

Il y a beaucoup de groupes qui ont repris votre idée après vous…

Peut-être…après nous, mais aussi après Real Mckenzies, Flogging Molly, Hudson Falcons, et ils appellent tous ça « punk rock irlandais ». Je pense que c'est stupide d'appeler ça comme ça, c'est encore une autre stupide catégorie. Pour moi, le punk rock irlandais, ce sont des groupes irlandais qui font du punk : Runnin'Riot, Skint , Steam Pig …En dehors de ça, c'est vraiment stupide de parler de « punk rock irlandais ».

Vous avez joué en Irlande. C'était comment ? Comment ont-ils accepté le fait qu'un groupe américain joue de la musique irlandaise ?

On a été vraiment impressionné la première fois qu'on a joué en Irlande. On a joué à Dublin, au Slattery's pub, un endroit bien réputé pour faire la fête et c'est certainement un des meilleurs concerts qu'on ait fait ! C'était génial ! Les jeunes semblaient vraiment vouloir nous voir jouer ! Je ne trouve pas les mots pour décrire ça !

Beaucoup de gens pensent que nous sommes américains et pas irlandais. Bien sûr que nous sommes américains, mais comme tu l'as probablement vu au sud de Boston et dans ce quartier, l'ancienne culture irlandaise est omniprésente. Elle s'est intégrée par la suite à la culture de Boston et la culture américaine. C'est un peu notre marque de fabrique. En dehors de l'Irlande, la population irlandaise la plus importante au monde se trouve à Boston, que ce soient les descendants d'Irlandais ou bien les Irlandais qui viennent bosser par ici. Et ça a un impact considérable sur la culture de Boston, ça fait bouger la ville…Nos familles jouent de la musique irlandaise lors de fêtes. Tu étais dans ce bar hier soir où mon cousin Karl Kelly jouait de la flûte irlandaise et d'autres instruments, et bien il joue assez souvent dans le coin. Donc, je me sens quelque part irlandais, même si je suis américain ! On est pro-américains, c'est notre pays, mais on se sent Irlandais aussi ! L'Amérique a une culture vraiment très jeune - 230 ans seulement - alors que d'autres pays d'Europe ont des millénaires dernière eux, ils ont eu le temps de développer leurs particularismes culturels, alors que l'Amérique est un mélange de différentes cultures : irlandaise, italienne, anglaise, africaine…

En Irlande, la musique traditionnelle irlandaise est plutôt écoutée par des personnes d'un certain âge. Ne penses-tu pas que les jeunes irlandais trouvent cette culture un peu dépassée et ridicule ?

Pas vraiment…Je suis allé à Doolin sur la côte ouest irlandaise. Il y avait un concert de musique traditionnelle et toutes les générations étaient mélangées, de 20 à 60 ans, ils étaient tous ensemble. A Boston, tous les soirs, il y a des concerts, et la tradition est transmise par les parents à leurs enfants…La plupart du temps, les enfants ou les ados n'apprécient pas vraiment cette musique - ils préfèrent la musique moderne, mais en grandissant, ils apprennent à la réapprécier. Quand j'avais 10 ans, je détestais la musique folk et traditionnelle, c'était nul, mais en vieillissant, je l'apprécie, tout comme le classique, le jazz, le rock'n'roll…J'aime des trucs que je détestais plus jeune.

Mais à ce petit concert hier soir, les gens n'étaient pas si jeunes…

Oh, tu n'as pas vu cette jolie nana qui jouait du violon ?? (rires)…C'est vrai qu'il y avait beaucoup de vieux, mais il y avait aussi des jeunes : cette fille, mon cousin - il a 30 ans-…

Tu penses qu'il existe une grande différence de culture entre l'Irlande et vous ?

Oui et non. En fait, la plus grosse immigration irlandaise est produite à partir de 1847, pendant la Potatoes Famine , et à cette époque, la musique prédominante en Irlande était la folk. C'était une immigration énorme qui a duré plus d'un siècle. Par exemple, mon grand-père est arrivé au début du siècle...Cette culture importée par nos ancêtres est à la base de la culture américano-irlandaise, qui a développée sa propre culture ici même. Nous avons maintenant notre propre musique irlandaise, folk ou traditionnelle. Nos influences musicales viennent d'Irlande, mais surtout de nos descendants, ce qui implique une petite différence de culture entre nous et les irlandais. C'est notre culture, pas U2 ou Fugazi , même si j'apprécie ces groupes…

Et toi, tu as déjà joué de la musique traditionnelle ?

J'en jouais avec mon cousin Adam et mon oncle Henry quand on était en Allemagne. Le nom du groupe était Adam O'Henry , on avait quelques compos originales, et on reprenait quelques chansons irlandaises de rébellion, et aussi quelques morceaux débiles de variété, du genre Simon and Garfunkel . C'était assez rudimentaire à la batterie, mais ça a été une chouette expérience !

Vous jouiez dans la rue, non ?

Oui. C'était à Hemer en Allemagne, en janvier, f évrier, et il faisait sacrément froid… Il y avait beaucoup de public, ce n'était « tu arrives et tu joues ». Le groupe était connu, il y avait des annonces dans les villes avoisinantes, Aachen, Dortmunt ou Koblenz. Il y avait donc des centaines de personnes qui venaient nous voir. C'était sympa et intéressant.

Sur votre dernier album, vous faites un morceau avec Shane MacGowan, le chanteur des Pogues, au chant. Comment l'avez vous rencontré ?

On jouait au festival FLEADH - c'est un festival qui tourne en Angleterre, en Irlande, au USA et qui est très influencé par la culture irlandaise. On jouait donc à celui de Boston sur l'hippodrome Suffolk Downs , et Shane McGowan y jouait aussi. On l'a rencontré et il ressemblait à un clochard, on aurait dit un zombie ou un mort vivant ! Ken lui a demandé un autographe sur ses EPs, et Shane de lui répondre « je t'emmerde, trou du cul ! ». Ils étaient à deux doigts de se battre…(rires). Ce fut notre première rencontre, assez drôle…

Puis un copain d'un pote, qui tient un bar au nord de Boston - the Harp - a fait jouer Shane MacGowan et les Pogues, et notre pote lui a demandé s'il était intéressé par chanter un morceau pour les Dropkick Murphys. Il se rappelait de nous, et il a accepté ! Le jour suivant, il était à New York, donc on est descendu le retrouver avec la maquette de « Good Rats », sans les voix dessus. On a chanté avec lui et il était cool. Je pensais qu'il se comporterait comme un enculé, mais il est resté sympa, très très bourré mais sympa. (rires)

C'est un peu une légende !

Oui, mais plus humain que je ne m'y attendais ! Ce fut vraiment chouette d'être avec lui, de chanter… Les discussions étaient cool aussi, quand on arrivait à comprendre ce qu'il disait. Parce qu'il semble avoir plusieurs personnalités, comme un schizophrène. Par exemple, il parlait avec un accent londonien, puis soudain faisait une grimace et continuait en patois irlandais. (rires) Bref, des tempéraments et des actes si bizarres face aux gens avec qui il parle…Il est un peu fou, mais cool !

Rien n'a été arrangé par le label ?

Non, on a arrangé le rendez-vous nous même avec l'aide de notre ami qui tient le bar où Shane McGowan a joué.

Pour finir sur l'Irlande, vous faites allusion aux Stiff Little Fingers sur le titre « Get up »(« I went Noth to see the SLF play, the kids in Belfast were tearing it up »). SLF semble faire figure de héros pour vous ?

L'idée générale de cette chanson était de rendre un hommage aux SLF . On imaginait aller les voir dans leur propre pays, et tout le monde deviendrait fou, car c'est un si grand groupe. Mais cette chanson n'est qu'une fiction !

Quand j'étais à Belfast, j'ai pourtant été impressionné par l'aversion que certains leur portaient. Ils étaient considérés comme des traîtres car ils avaient été à Londres et que depuis leur reformation, ils se comportaient comme des stars de merde…

J'ai aussi entendu ça. Je ne prétends pas les défendre car je ne suis pas trop d'accord avec leur politique. Ce sont peut-être des enculés. Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c'est que leurs morceaux sont excellents. J'ai entendu plein d'histoires sur leur ego prononcé et leur attitude de rock stars - le fait qu'il ne veulent personne dans leur loge, même pas les autres groupes. Je les ai vus plusieurs fois, des fois ils étaient incroyables, des fois médiocres, et la dernière fois, c'était à Boston l'année dernière, ils étaient vraiment énormes !

Vous n'avez jamais joué avec eux ?

Non, je ne pense pas. Mais je les ai vus souvent.

Les thèmes abordés par vos chansons sont très « working class ». La communauté irlandaise de Boston est-elle très ouvrière ?

La majeure partie se situe dans la classe moyenne ou ouvrière américaine. Mais bien sûr, certains ont mieux réussi et sont devenus influents et riches dans les domaines de la construction, de la restauration, de la peinture…

Et vous défendez cette image « working class » ?

Je pense que les gens le disent…

Par exemple, la chanson « Boys on the docks », qui parle de John Kenny…

Oui, c'est le père de la mère de Ken. Il était leader syndical sur les docks, sur les chantiers de construction navale. Il a aidé à organiser ça sur la côte est dans les années 30, car il y avait vraiment peu de syndicats à cette époque.

Tu peux m'en dire plus ? Dans cette chanson, il fait figure de héros local !

Je ne sais pas, c'était il y a longtemps. Mais pour Ken, c'est un héros, ça c'est sûr ! Son grand-père a beaucoup aidé les immigrants italiens et irlandais, car ces gens, comme ils étaient les nouveaux arrivés dans ce pays, avaient beaucoup de mal à trouver des emplois. Et John les aidait à en trouver. Tu pouvais voir des pancartes sur les lieux de travail, du genre « Irlandais et Chiens, pas la peine de postuler ici ». Ca fait un peu cliché, mais ça se passait comme ça. Bref, le grand-père de Ken n'était peut-être pas un héros, mais il a aidé beaucoup de gens et d'immigrants à trouver des boulots.

Vous accordez une grande importance aux syndicats…

Oui, c'est un peu notre crédo ! On est pour le syndicalisme. On fait parti de l'American Federation of Musicians (c'est un syndicat de musiciens qui permet d'obtenir un salaire correct quand on joue quelque part et qui nous permet de toucher de l'argent sur la vente de nos disques et fringues…), de la Boston Musicians Association et Ken faisait partie du syndicat Building Record Union. Son beau-père était le patron d'un syndicat de construction, mon grand-père était conducteur de camions et syndiqué. Boston est une ville très syndicale. Les syndicats sont puissants ici, comme dans la majeure partie du nord et de l'est des USA.

La scène skin/punk de Boston était encore récemment très importante. Tu peux m'en parler ? Et la scène hardcore ? Etait-elle aussi violente qu'à New York dans les années 80 ?

Je ne crois pas, mais je n'ai commencé à traîner qu'à la fin des années 80. A New York, il y a toujours eu pas mal de bandes de skins, la DMS ( Doc Marten's Skinheads ) en particulier. Mais il n'y en a jamais vraiment eu de grosses à Boston. Le plus gros groupe skin ici, c'était Slapshot , vers la fin des années 80 - c'était des skins hardcore avec des T-shirts larges, des baskets et des casquettes. D'ailleurs, il y a encore pas mal de skins hardcore qui traînent dans le coin, et historiquement, Boston est un endroit très branché hardcore. Au départ, à la fin des années 70, il y avait des bons groupes punks : Outlets , Liars , Neighbourhoods , Cars - qui sont devenus assez populaires -, Oysters , Dogmatics …Puis la vague hardcore a déferlé sur Boston, les jeunes hardcoreux ont commencé à foutre la merde et à frapper tout le monde dans les concerts, du coup les punks ont déserté les concerts…Le hardcore a tenu la place jusqu'au début des années 90, jusqu'à ce que des groupes punks se forment : Showcase Showdown , qui reprenaient des morceaux de Blitz , ou encore Unseen . Unseen était un tout petit groupe à cette époque, quand on voit à quel point ils sont populaires maintenant et qu'ils tournent en Europe, au Japon et aux USA. Ils sont super sympas en plus et n'ont pas changé d'un pouce !

Après, il y a eu toute cette grosse vague streetpunk avec la Boston Hooligans crew, Bruisers, Forced Reality, Stars and Stripes, Troubles, Ducky Boys …C'était la bande de Boston de 1995 à 1998. Tu pouvais avoir plus de 6/700 personnes pour certains concerts, par exemple quand les Bosstones jouaient aussi…L'endroit était bondé et les gens étaient fous ! Toute une époque…Maintenant, la plupart de ces gens font des trucs différents, ils se fondent un peu dans la foule. Tu ne verras pas de gars qui sont skins depuis 20 ans à Boston…

Tu as connu les gars de Stars and Stripes  ?

Le chanteur et le batteur jouaient dans Slapshot et le bassiste et le guitariste dans les Bruisers. Maintenant, Stars and Stripes sont tous les musiciens de Slapshot, ils vont sortir un nouveau disque bientôt.

La plupart des gens qui écoutaient cette musique ne l'écoutent donc plus…C'est le cas pour les Dropkick Murphys, vos fans du début vous ont lâchés ?

Oui, c'est vrai, et j'ai fait pareil avec Iron Maiden, les Clash, AC/DC. J'ai adoré les premiers albums, et pas trop la suite. Les groupes changent et les gens veulent entendre leurs premiers trucs. C'est comme ça et je l'accepte.

C'est quand même assez surprenant à quel point les gens semblent changer rapidement ici !

Oui, en Amérique, les gens ont tendance à passer d'une mode à une autre. En Europe, c'est le contraire. Un de mes potes à Londres est skin depuis 1984 et il est resté le même ! Je connais un punk de 40 ans à Toronto avec tous ses tatouages sur la tête, et il vient d'Europe. Ici les gens changent de style rapidement. Je ne sais pas pourquoi, ni si c'est bien ou mauvais…

Après cette grosse vague streetpunk à Boston, la plupart des jeunes ont arrêté, c'était une mode passagère d'écouter de la Oi ! et d'être punk ou skin ! Ils étaient tous ensemble dans ce trip et ils ont tous laissé tomber après. Beaucoup sont encore dans le rock, mais ils se retrouvent dans des trucs plus rockabilly ou du genre Turbonegro. Par exemple, Mark des Ducky Boys joue maintenant des vieux morceaux de rock'n'roll et de Bruce Springsteen. Il a débuté avec Ducky Boys parce qu'il aimait Bruisers, Guns'n'Roses …

Beaucoup de gens aiment la chanson « Skinhead on the MBTA ». Elle parle de quoi ?

Il y a une vieille chanson folk, « Charly in the MBTA », des Kingston Trio. C'est une chanson typiquement bostonienne. Le MBTA, c'est l'ancien métro de Boston, et on acquittait son voyage en payant à la fin du trajet. Cette chanson fut écrite pour protester contre la hausse de prix du ticket, qui était passé de 10 à 15 cents. Ce gars, Charly, avait juste une pièce de 10, il n'avait pas les 5 cents suffisants pour pouvoir sortir. Il était donc bloqué dans le métro sans pouvoir jamais revenir, et son destin est resté inconnu…On trouvait amusant de transformer « Charly on the MBTA » en « Skinhead on the MBTA, who never returned ».

Vous avez des problèmes parfois, comme vous avez pas mal de skins qui vous suivent et le reste du public est assez varié ?

Pas tellement. Des bagarres arrivent parfois, par exemple des connards super balèzes qui frappent des petits jeunes. Dans ce cas, on arrête notre set et on arrange les choses…ou encore, des gens dans des bars qui n'en ont rien à foutre de nous, qui nous tournent le dos et on joue dans le vide…ça arrive en Amérique et ça nous énerve un peu…

On a eu beaucoup de problèmes sur la tournée aux USA avec les Business . Il y avait plein de nazis partout…Pendant notre set, ça allait, les gens picolaient et faisaient la fête, mais dès que les Business commençaient, les bastons partaient dans tous les coins, bandes contre bandes… Mais la plupart du temps, il n'y pas de gros problèmes. Surtout maintenant que beaucoup de petits jeunes viennent nous voir, je ne suis pas sûr que les skins cherchent la bagarre ! Peut-être dans des petites villes, mais dans les grandes, c'est sûr que non !

Et en Europe ?

Très rarement. Une fois, à Madrid, le promoteur a coupé le son du groupe juste avant nous alors qu'ils jouaient encore…Le groupe était furieux et le public est devenu violent. Le groupe est venu nous voir pour tenter de s'expliquer, ils nous croyaient responsables, mais on ne parlait pas espagnol et eux pas anglais, donc la communication a été difficile…

Les Européens semblent plus respectueux les uns envers les autres dans les concerts. Parce qu'ici, dans le nord/est des USA, les concerts sont plutôt sauvages, les gens se rentrent dedans facilement quand ils dansent ou sautent, c'est physique et les bagarres partent plus rapidement.

Le morceau « Going Strong » parle de la violence dans la scène (« Free at last from violence and destruction that destroyed our name »).Tu peux m'en dire plus ?

C'est à propos de toute cette incompréhension sur le mouvement skinhead et streetpunk, comment la presse et les média nous prennent pour des gens violents. Du coup, les gens pensent toujours aux mauvais côtés de ces mouvements et ne voient jamais les bons, les côtés constructifs ! C'est vrai qu'au final, la violence détruit toujours tout…D'un autre côté, elle peut aussi être un catalyseur et une force de changement…et puis parfois, c'est amusant…

Vous avez eu des problèmes liés à votre image skinhead ? Dans « Never alone », vous chantez « Young skinhead, they still call you racist in the evening news ».

Au début du groupe, il n'y avait pas ce genre de problèmes. On était dans le trip punk/skin, tout le monde autour de nous savait de quoi il s'agissait. Mais avec le succès, des gens plus conformes ont commencé à nous demander, surtout sur Internet, si nous étions un groupe skinhead, et donc pourquoi nous étions nazis ! C'est d'un frustrant ! Mais bon, je m'en fous, qu'ils me prennent pour un nazi s'ils veulent, ou qu'ils nous jugent sur le fait qu'on est un groupe skin…

Quand j'étais plus jeune, quelques uns de mes potes avaient des embrouilles avec des immigrés portoricains et des gosses du coin qui nous prenaient pour des nazis. Un gars d'un journal a fait un article sur nous, avec la photo de moi et mes potes assis dans un parc sur la page de garde : « Des jeunes skinheads de 15 ans refusent qu'on les prennent pour des nazis ». Ça a éclairci pas mal de choses, même si il y a eu d'autres articles pas très reluisants par la suite.

Le groupe a-t-il eu parfois des sales rumeurs de la part de la presse ?

Non, juste des ragots de la part des punks crust ! Faut toujours qu'ils bavent sur quelqu'un ! Quelques ragots de la parts de petits jeunes via internet…

Passons à un autre sujet…Vous êtes le premier groupe que j'interviewe pour mon fanzine qui se trouve sur un si gros label. Comment ça se passe pour vous ? Vous touchez quoi de la part du label ? Vous avez un salaire ?

Le label nous donne juste de l'argent pour enregistrer le disque et on doit le rembourser après. Quand tout a été remboursé, alors seulement on se fait un peu d'argent avec les disques. C'est juste une association. Du coup, on ne gagne pas grand chose avec les disques…C'est surtout sur la marchandise, les T-shirts et autres gadgets qu'on se fait de l'argent. On organise leur vente nous-mêmes. La plupart du temps, les concerts paient l'essence, les copains qui tiennent les stands, les roadies, les frais annexes…il y a plein de frais pour un groupe qui voyage parfois à plus de 7 personnes. De plus, dans les concerts, les groupes sont toujours payés en dernier, le promoteur doit payer la réservation de la salle, tous les gens qui bossent sur le concert, et au final il ne reste jamais grand chose pour nous. Mais bon, je ne me plains pas, j'adore faire ça, plutôt que de bosser !

Vous avez le contrôle sur tout, sur le prix de vos disques, sur les prix d'entrée, les endroits et les groupes avec qui vous allez jouer ?

Bien sûr ! Le dernier disque qu'on a sorti : « Live on St Patrick's day », comporte 27 chansons, est disponible en CD et double LP pour 12/13$, ce qui me semble plutôt une bonne affaire ! En général, on ne joue pas pour plus de 12$ la place. Ça peut représenter une certaine somme pour certains, mais on joue 1h/1h30, et il y a toujours 3/4 groupes qui jouent avant nous, donc ça reste valable…Sinon, il y a bien quelques endroits dans lesquels on ne jouera pas à cause de problèmes passés ou si le promoteur est un salaud, on a un certain sens du bien et du mal et des obligations morales. Tu vois, le groupe contrôle tout. Il n'y a pas un label ou un manager qui font les choses à notre place. Le label travaille pour nous, c'est tout !

Il n'a jamais essayé de vous faire changer vos paroles ou vos pochettes ?

Non et heureusement ! Une fois peut-être, pour un album ils ont essayé de le mixer différemment - ils voulaient qu'il sonne comme d'autres de leurs productions. Nous, on ne voulait pas. On aimait notre mix tel quel, donc on leur a dit qu'on quittait le label ! On ne voulait pas leur lécher les bottes ! Ils ont été cool et on a gardé notre mix !

Vous considérez Hellcat comme une major ?

Oui ! Hellcat est un label qui fait du fric ! Ce n'est pas une major mais c'est professionnel comme une major.

Beaucoup de groupes changent leur style quand ils arrivent sur des majors. C'est quand même dommage…

C'est vraiment stupide car ils se sont créés un public grâce à leur son, puis ils vont chez Epic ou Virgin où le directeur leur demande d'en changer et au final, on dirait un autre groupe. C'est toujours une déception ! Ou encore, le producteur leur parle de devenir des stars, d'être à la mode et de gagner des millions…et la musique en souffre, elle se vide de sa consistance. Le groupe ne vend plus ses disques, le label le jette et ils se sont faits avoir ! C'est écoeurant ! Un groupe doit garder le son qu'il veut avoir !

Lars Frederiksen, le guitariste de Rancid , qui a produit les deux premiers albums vous a-t-il conseillés sur la musique ?

Pour le premier album, il est venu quelques semaines avant d'enregistrer et il nous a donné quantité de conseils, surtout sur le son des guitares et sur 1 ou 2 morceaux sur lesquels on bloquait. Sur le second, il nous a aidés pour le son en général, et sur le troisième, nous avons voulu le faire nous-mêmes, il n'est pas intervenu. Il nous a apporté beaucoup de connaissances…

A propos de ce second album justement, « The gang's all here », pourquoi avoir choisi une telle pochette ?

On voulait qu'elle ressemble à un poster de bataille américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale, à toutes ces vieilles affiches de films de guerre…et on a trouvé celle-ci qu'un ami avait peinte. Mais cette pochette est peut-être arrivée au mauvais moment à cause des bombardements au Kosovo…

C'est peut-être difficile de trouver une bonne période pour sortir cette pochette vu la politique extérieure des USA…

Hum…On aime notre pays…je veux dire qu'on va pas s'excuser pour tout ça, c'est ce qu'on ressentait à ce moment…

Oui, mais on peut aimer son pays sans soutenir tout ce qu'il fait !

Bien sûr ! Je n'apprécie d'ailleurs pas particulièrement le président Bush…mais c'est mon pays…(Silence…)

Ok, passons à autre chose…Avant votre second album, votre premier chanteur, Mike McColgan, est parti. Il y a eu plein de rumeurs sur son départ. Qu'est ce qui s'est réellement passé ?

On était en tournée américaine pendant 5 semaines avec les Business et il a arrêté au bout de 3. On était à Austin au Texas, et après avoir joué dans la Fireball Tavern, il en avait ras le bol et il est parti à l'aéroport. Du coup, on est rentré aussi. C'est vrai qu'il y a eu des rumeurs amusantes et bizarres. Il y en avait une qui disait qu'il avait une pneumonie et qu'il était en train de mourir. Quand on a entendu ça, on lui a téléphoné tout de suite, mais il allait bien ! Il y avait aussi la rumeur qu'il nous avait lâché pour être pompier…

C'est ce que j'avais entendu…

Il a toujours essayé d'être pompier, mais à Boston, c'est pas évident d'en devenir un. Il y a une liste d'attente impressionnante rien que pour passer l'examen, et après l'avoir eu, il faut attendre longtemps pour être engagé...

C'est si prestigieux d'être pompier à Boston ?

Beaucoup d'enfants ici veulent devenir pompiers plus tard, c'est peut-être typiquement américain. Mais l'examen d'entrée est dur et il faut une bonne condition physique.. C'est un bon job et tu as la sécurité de l'emploi....Enfin, revenons à nos moutons...3 ou 4 mois après qu'il ait quitté le groupe, Mike a été gardien dans un hôpital, et récemment il a été accepté chez les pompiers du District de Boston. Dropkick Murphys était sa première expérience dans un groupe et je pense qu'il voulait rester chez lui avec sa copine, gagner un peu d'argent et avoir une vie un peu plus confortable. Avant le groupe, il avait un bon boulot, il était imprimeur dans un gros journal local - le Boston Globe - qu'il a quitté pour chanter, alors qu'on ne faisait pas d'argent...C'était un peu dur pour lui, il s'était habitué au confort. Du coup il est parti. On est potes à nouveau avec lui, mais ça a été tendu entre nous pendant un moment...Je le vois parfois. On va voir des matches de hockey, on va à Montréal voir les Bruins contre les Montreal Canadians, ou à Philadelphie les voir jouer contre les Flyers . Certains de ses amis sont des potes aussi. On ne fait pas la fête ensemble tous les jours, mais on se voit pour le hockey...

Beaucoup préfèrent sa voix à celle de Al...

C'est leur opinion et ils ont le droit de le penser. Moi, j'aime bien les deux, mais celle de Al est plus versatile , il peut faire plus de choses avec...

Tu aimais sa voix dans les Bruisers  ?

Oui. D'ailleurs, c'est le premier groupe Oi ! que j'ai écouté et le premier single de Oi ! que j'ai acheté était un des leurs.

Puisqu'on parle des anciens membres...J'ai vu hier un CD d'un de vos anciens guitaristes qui a monté un projet solo. L'as-tu écouté ? Est ce que c'est vrai qu'il a joué dans un groupe punk dans les années 80 ?

J'ai entendu quelques-unes de ses chansons. Il écrit très bien, mais j'ai du mal avec sa voix, et pas qu'avec sa voix d'ailleurs. Il a joué de la guitare rythmique avec les Outlets , avec son frère à la guitare et au chant. C'était un super groupe pop/punk. Il n'était pas très fort à la guitare et il a fait de sacrés progrès depuis. Mais bon, j'ai pas trop envie de parler de lui...

Parlons un peu de vos tournées...C'est quoi votre meilleur souvenir ?

La tournée avec Agnostic Front en Europe en 1998 fut assez remarquable. C'est mon groupe de hardcore favori, un bon tempo, des bonnes chansons, surtout leurs morceaux du « Live at the CBGB's  », mais même les plus récents sont bons. On a aussi fait une tournée aux USA avec eux, mais c'était vraiment mieux en Europe parce qu'on partageait le même bus qu'eux, avec les US Bombs, qui sont des gars cool aussi. C'était vraiment chouette de faire la fête avec Agnostic Front. Parfois, on se battait avec eux...(rires). En Espagne, on a failli se faire arrêter par la police parce qu'on se battait avec des gens dans un club. Les flics nous ont braqués avec un flingue...(rires). Oui, on était tout le temps stupides et bourrés. Ça a été un grand moment ! La tournée avec les Unseen en Europe en janvier l'année dernière était chouette aussi ! Et puis celle avec les Business en 1997/98, quel bordel ! Chaque tournée a ses bons moments. C'est chouette de voyager partout dans le monde et d'y faire la fête avec ses potes !

Ça doit être spécial de jouer avec des groupes très connus comme les Business ou Agnostic Front, des groupes que tu as écouté dans ta jeunesse ?

Oui c'est vrai ! La première grande rencontre qu'on ait fait, c'était celle de Cock Sparrer, on les a vus à Boston avec Reducers SF et Tommy and the terrors. On a fait la fête avec eux et ils ont utilisé notre matériel, guitares, batterie...car ils ne pouvaient pas apporter le leur aux USA. Ils étaient super sympas et c'était génial de discuter avec Colin et les autres. On a rejoué avec eux plus tard à Berlin et au festival HITS ...Mais depuis le temps qu'ils jouent dans cette scène, on était surpris à quel point ils étaient des gens tout à fait normaux ! Ils nous ont même complimentés sur notre musique. C'était un honneur d'entendre ça de leur bouche !

Vous avez aussi joué avec les Sex Pistols ?

Oui, cet été. Je pensais qu'ils seraient de vrais connards, que je ne pourrais pas les saquer et qu'ils feraient un concert de merde, et bien j'avais tout faux. Leur musique était bien rapide et ils ont été sacrément cool. Ils nous ont même invités à une fête après le concert, mais on n'a pas pu y aller, c'était de l'autre côté de Londres, mais c'était sympa de leur part...C'était un concert très différent de ceux auxquels on est habitués, dans cette gigantesque salle - le Cristal Palace - avec 25000 personnes...

25000 personnes !!

Oui, mais ils étaient là pour les Sex Pistols...(rires)

Comment avez vous fait pour jouer avec eux ? Ils vous connaissaient ?

Je pense, c'est ce qu'on nous a dit. Leur drôle de promoteur nous a demandé si on voulait jouer...Mais ils ont été vraiment cool et ce fut un honneur de jouer avec eux. Les autres groupes n'étaient pas terribles, ils jouaient de la merde émo...

Ils ont l'air très différents de l'image qu'ils donnent à la TV...

Je pense aussi. Et si j'avais les media et leurs caméras toujours derrière moi, c'est sûr que je les détesterais aussi, que je les frapperais ou leur cracherais dessus ! J'aimerais qu'ils me laissent en paix !

Vous avez joué avec de très jeunes groupes d'émo, par exemple sur le Warped Tour ...

En fait, je ne sais pas trop qui d'autre jouait sur le Warped Tour . Je me tenais le plus possible à l'écart de ce festival, il n'y avait rien de bien amusant pour moi là-bas.

Comment vous comportez vous quand vous croisez des gros groupes à la mode ? Ils viennent vous parler ?

Non. Quand ils nous voient, ils font demi-tour. Tu sais, avec nos cheveux courts, nos tatouages et tous ces trucs (rires)...Les groupes à la mode avec qui on joue sont souvent des cons et des abrutis qui veulent qu'on leur lèche les bottes. On n'a pas envie d'être amis avec eux juste parce qu'ils sont célèbres ! On les emmerde ! Je préfère traîner avec des gens normaux. Il y en a certainement des sympas, mais je m'en fous un peu..

Je comprends bien, mais c'est sans doute la même chose pour vous à une autre échelle. Certaines personnes peuvent vous voir comme des rock stars.

Peut-être. Je n'espère pas parce qu'on est toujours restés pareil. Et puis on n'est pas des stars non plus, on n'est pas un groupe énorme et ce n'est pas notre but. On est juste des gens normaux de Boston !

Je voulais parler des jeunes...

On a discuté avec certains et ils ont pu être intimidés à cause de toutes ces conneries qu'on leur balance sur le star système...Mais on les traitera toujours de la même manière qu'ils nous traitent. On ne veut pas avoir droit à des égards de leur part juste parce qu'on joue de la musique. Ce n'est que de la musique ! On n'a rien de spécial !

Vous avez joué avec Blink-182 . Tu m'as dit qu'ils avaient peur de vous. Tu peux raconter cette histoire ?

On est de la côte Est et eux de l'Ouest, et je pense sans sarcasme que les gens sont plus rudes ici. Il semble qu'on avait une sorte de réputation - d'ailleurs c'est stupide - et ils avaient peur de nous ! C'était débile ! Du coup, on a enfoncé un peu plus le clou en les effrayant encore plus dans les loges, juste pour s'amuser.

Ça devait être bien amusant !

Pour nous, oui, de les faire pisser dans leur froc ! Mais bon, c'était si stupide ! On n'est pas des mauvais garçons, on ne va pas faire de mal aux gens !

En Australie, on a joué dans un festival avec plein de groupes rock et punk, certains étaient petits et d'autres plus gros, comme Sum-41. Ils devaient avoir 18/20 ans. La plupart des gars de Dropkick Murphys et quelques irlandais qui nous suivaient buvaient des bières dans la salle de repos. On avait un douzaine de bières en tout, donc après 1 ou 2 bières, on avait un peu soif ! On a vu soudain les bières de Sum-41 , leur table en était couverte ! On est rentrés et on a commencé à leur en voler. Leur manager m'est tombé sur le dos et m'a passé un de ces savons ! Toute une affaire ! Il était si furieux, il voulait qu'on leur rende les bières ! On a calmé la chose en en reposant quelques unes ! Mais on s'est bien marré ! (Rires)

Cette tournée australienne, c'était bien ? C'est pas trop courant pour des groupes punk de jouer là-bas...

Détrompe-toi !Beaucoup de groupes punk californiens jouent là-bas, mais c'est vrai que pour notre genre de musique, c'est assez rare. On y a joué, ainsi qu'en Nouvelle Zélande il y a 2 mois et c'était génial - ça a été un grand honneur d'y jouer  ! Les gens dans ces pays sont si grands, costauds et sympas !

Tu as rencontré des gens actifs dans la scène Oi ! ?

J'ai causé avec le bassiste des Rose Tatoo et les gars du groupe hardcore Toe to Toe , qui n'existe plus d'ailleurs. J'ai aussi rencontré EVO, avec un vieux skin au chant, et puis des nouveaux groupe de oi ! : Bulldog Spirit , GGF (Go Get Fucked ) de Nouvelle Zélande, Blurters et plein d'autres groupes rock. Quelques vieux skins à Adelaide dans l'Ouest du pays...On trouve une scène, mais elle est très réduite et éparpillée, vu la grandeur du pays et sa faible population, 19 millions d'habitants, c'est peu !

Vous avez joué au Japon aussi...

3 fois ! Les villes sont gigantesques ! C'est un pays super chouette !

Comment c'était ? Vu d'Europe, la scène japonaise semble un peu superficielle...

Oui, parfois, on voit des trucs stupides ! Un groupe connu jouait dans un squatt, les musiciens avaient l'allure de gens normaux et avant d'aller sur scène, ils sont partis se changer dans leur voiture et mettre leurs vêtements punk (rire)...Mais on a aussi joué avec des groupes excellents : Side Burns, Youth Anthem, Cobra ...

Cobra ? Ce ne sont pas des rock stars ?

Ils étaient énormes au début des années 90, mais plus maintenant. Ils ne jouent plus leurs morceaux Oi ! des débuts, c'est devenu plus punk-rock. Mais ils sont très sympas ! Une anecdote en passant :on jouait avec eux et on était super content de les voir sur scène. Mais la plupart des jeunes n'avait jamais entendu parlé d'eux ! (Rire). C'était des petits jeunes de la génération MTV...On a joué aussi avec Side Burns, Youth Anthems ...Personnellement, j'adore la Oi ! japonaise : Bull the Dougs, Sledgehammer, LRF, Blade, Hawks, Miburo ...

Tu as vu des « samourai skins » ?

J'ai eu l'impression que les skins plus traditionnels ne se battent pas avec eux. Ils ont des styles différents, mais semblent tous en bons termes. C'est ce que j'ai ressenti, j'ai peut-être tout faux, mais ils semblent tous très nationalistes, avec certains plus extrêmes que d'autres. Les gars de Side Burns - ils ne sont pourtant pas « samourai skin » - ont des potes dans des groupes d'extrême droite. On a rencontré les gars de Miburo , même s'ils sont aussi liés avec des groupes d'extrême droite, et on a bu quelques bières avec eux. Ces types sont loin d'être superficiels, simplement, ils sont quelque part un peu lunatiques. Miburo, c'est un peu les Cockney Rejects du Japon.

Quand vous êtes en tournée comme çà, vous avez le temps de visiter les pays traversés ?

Sur les petites tournées. Par exemple, la tournée en Australie et en Nouvelle-Zélande durait 16 jours avec 8 concerts en tout, donc on a eu le temps d'aller à la plage et de voir le nord/ouest du pays. Au Japon, on a vu la majeure partie de Tokyo, les restaurants, le Fuji Yama...En revanche, en Amérique et en Europe, c'est toujours très speed...

Vous jouez tous les soirs ?

6 soirs par semaine ! On se lève, on part vers dans une autre ville, on se pause un peu, j'installe ma batterie, on prend le son, on mange, j'écoute les autres groupes, je joue, je picole et au lit ; et le lendemain, rebelote...Du coup, on ne peut pas trop visiter le pays, du moins on pourrait si on ne buvait pas autant de bières. Certains dans le groupe ne boivent pas trop et se lèvent plus tôt pour visiter. Mais l'alcool tous les jours, ça n'aide pas vraiment (rire)...

Vous avez des mauvais souvenirs de vos tournées ?

Oui ! Une fois, on jouait en Oregon et Spicy, qui jouait de la cornemuse, était dans la foule. Il regardait les Bouncing Souls avant de jouer. Soudain, 10 skins lui sont tombés dessus parce qu'il avait un patch skin sur le dos de sa veste et ils ne le connaissaient pas. Comme ils ne l'avaient jamais vu avant, ils pensaient qu'il était nazi....Il a donc commencé à se battre avec eux et quand on a vu çà, on est venu à son aide. Ils ont alors vite compris qu'on était un des groupes qui allait jouer...Cette baston était tellement stupide ! Mais on a été étonné par l'attitude de Spicy qui s'est défendu comme un champion, il était impressionnant !

Une autre mauvaise expérience fut une tournée en Espagne et au Portugal. On était dans un bus avec deux autres groupes, Reach the Sky, du hardcore de Boston, et Thug Murder du Japon, 22 personnes dans ce bus sans air conditionné, en plein milieu de l'été. La température montait à 50° ! On n'arrivait pas à dormir la nuit ! On transpirait tout le temps ! En plus, la plupart des concerts étaient nuls, il n'y avait personne car on était plutôt inconnus, parfois une dizaine de personnes qui s'en foutait de ce qu'on jouait ! On arrivait souvent très tard, on se perdait souvent et tout foirait ! Ryan, notre joueur de mandoline, est tombé très malade, il avait une gastro bien carabinée et finalement il a dû rentrer...On ne s'est pas douché pendant 3 semaines...

Pas de douches sur cette tournée ! ?

Oui ! C'est vraiment la pire de nos tournée. On était dégueulasses ! On aurait dit des crusts (rire)...Tout le monde voulait rentrer. Moi, j'essayais de rester optimiste, de motiver les autres pour faire des bons concerts, mais rapidement, je suis devenu comme tout le monde et voulais rentrer aussi !

Tu critiques souvent des jeunes de la génération MTV. Est-ce qu'ils passent vos clips, sur MTV ?

Oui, je pense, mais je ne regarde pas vraiment la télévision. Je n'ai rien contre le fait d'avoir des clips qui passent à la TV, mais ce que MTV a créé ne me semble pas correct. Ils font de la musique un bien de consommation. Ils présentent seulement une partie du punk et après, pour la plupart des gens, le punk se résume à ce qu'on trouve sur MTV. Ils n'écoutent que ce que leur donne MTV et n'explorent pas plus loin. C'est vraiment dommage !...Quand on était jeune, on n'avait pas le câble ou MTV, on achetait les disques de nos groupes favoris et on regardait la liste des groupes mentionnés dans les remerciements, puis on essayait de trouver les disques de ces groupes. Non, vraiment, je n'aime pas regarder MTV, les «  talk shows  » ou les shows de la Osbourne Family . Je préfère lire un livre.

J'ai vu deux de vos clips vidéo : « 10 years of service » et « Barroom Heroes » sur internet. C'était marrant à faire ?

Pas vraiment. A chaque fois, on a dû jouer le morceau 20 fois, avec différents angle de vue pour la caméra. La fille qui a fait « 10 years of service » n'était pas très cool, et elle avait un tout petit budget pour la produire, si bien que la majeure partie des choses qu'on voulait faire n'a pas pu aboutir. Ce clip est nul ! Le clip de «  The Spicy McHaggis Jig  » était bien plus marrant à faire. On était à Los Angeles, et une femme qui fait habituellement des clips pour des gros groupes et dont la fille est une fan des Dropkick Murphys, nous a proposé de faire une vidéo à bon marché. Elle a fait ce qu'on voulait et avait aussi des bonnes idées. En plus, elle était vraiment sympa et marrante. A 10 heures du matin, elle nous mettait déjà à la bière, et à midi, on était tous en train de déconner avec elle. Mais en général, on n'est pas fan de clips vidéos...

Le clip « Barroom Heroes » est vraiment drôle...

Oui, mais ma tête m'a fait mal pendant un bon moment après ! Quelqu'un me cassait un verre dessus parce que je trichais aux cartes...et j'ai dû rejouer l'action plusieurs fois. A la fin, j'avais un bleu énorme ! (Rires). On va la mettre sur un DVD bientôt, avec toutes nos vidéos et des passages live. Mais je ne veux plus faire de clips. J'ai horreur des caméras, je ne veux pas être vu (rire).

De quoi parle la chanson « The new American way » ?

C'est sur les gens qui ne sont pas entièrement responsables de leurs crimes et actes, comment ils sont pris pour des victimes. Une personne qui tue quelqu'un, viole une femme ou abuse un enfant est toujours la victime de quelque chose, de sa mauvaise éducation, de son environnement, d'abus étant enfant...ce n'est jamais sa faute. En Amérique, un avocat fera toujours penser au juge que le meurtrier est la victime d'une injustice. Le juge doit être compréhensif et non punitif...C'est vraiment des conneries !

C'est quand même un peu vrai, non ? Les statistiques montrent que la plupart des crimes sont commis par des gens des ghettos ou de conditions très modestes. Ils peuvent être considérés comme des victimes de leur condition...

(Silence)...C'est un argument ! C'est un facteur, mais il y a toujours une décision. Tu n'as pas le droit de tuer ! Ni de cambrioler une banque ou d'émettre de la fausse monnaie ! Il y a toujours des choses qui sont moralement bonnes ou mauvaises, légales ou illégales, et apparemment, c'est illégal de tuer quelqu'un ! Si tu tues quelqu'un, quels que soient tes circonstances ou ton passé, si tu es riche ou pauvre...tu as tué quelqu'un, tu lui as ôté la vie, tu as violé une loi à la fois morale et de la société, tu as fait quelque chose contre l'humanité. Tu dois donc être entièrement responsable de tes actes et être condamné en conséquence ! C'est de ça que parle cette chanson.

D'accord, mais c'est quand même plus facile de vivre dans la légalité quand tu vis dans de bonnes conditions. C'est un peu ce que disaient les premiers groupes de oi !, quand tu écoutes « Chaos », « Violence in our minds », « One law for them », ou le nom Criminal Class…

C'est peut-être vrai. Ceci dit, quand j'étais enfant, ma famille avait très peu d'argent, on vivait grâce aux aides de charité que nous donnait l'église. Malgré cela, je n'ai jamais eu de problèmes avec la loi parce que mes parents m'avaient donné une idée de ce qui est bien ou mauvais, ils ont essayé de faire de moi quelqu'un de bien. Ne pas avoir d'argent ne veut donc pas forcément dire qu'on ne sait pas ce qui est bien ou mauvais...(Silence)... On a aussi un gros problème dans ce pays :beaucoup de jeunes des ghettos aussi bien que des banlieues riches veulent se conduire en caids, être crédibles et durs...Ils commettent des crimes stupides pour leur crédibilité et des pauvres jeunes de leur voisinage se font avoir. Ils s'écartent du droit chemin très rapidement dès qu'ils commencent à rencontrer des problèmes chez eux ou à l'école...J'ai envie de leur dire : si tu en as l'opportunité, tu ferais mieux de suivre une éducation. N'essaie pas d'être un voyou si tu n'en es pas un !

Et la chanson « Caps and Bottles », c'est sur l'alcoolisme ?

C'est sur les jeunes du coin qu'on voit dans les parcs, sur les terrains de basket, qui courent après les emmerdes, font des trucs stupides et souvent deviennent alcooliques ou junky. Moi, ça me tue ! Ce n'est pas que sur l'alcool...

C'est un peu en contradiction avec certaines de vos chansons qui sont à la gloire de l'alcool et de la fête...

Oui, on aime l'alcool et la fête, mais il a aussi ses côtés sombres que souvent les gens ne voient pas. Par exemple, le type qui pense qu'il est le plus fort du bar et qui n'hésite pas à frapper des plus jeunes que lui. Et d'autres comportements aussi stupides...

Comme toi qui te prends un verre sur la tête parce que tu triches, dans le clip « Barroom Heroes » ! (Rires)

Oui, mais là, c'était un jeu...(rire).

Il y a aussi le morceau « John Law », qui parle d'un policier...Quelque part, c'est un morceau pro-flics, alors que le plus souvent, dans la scène punk, on trouve des textes anti-flics. C'est dû à quoi ?

C'est juste en réaction aux gens qui reprennent « ACAB » et toutes ces chansons. C'est débile de penser que le fait d'être punk rocker signifie détester la police. C'est juste un stéréotype stupide ! Je déteste aussi la majorité des flics, mais je connais aussi quelques policiers qui sont vraiment sympa et cool. Ce morceau parle de ceux là, ceux qui quand ils voient des jeunes faire des conneries mineures, passent leur chemin tandis que d'autres utiliseraient la force. Ça ne les empêche pas de faire leur métier pour des choses plus graves. Ce n'est pas sur la police en général, mais sur un certain type de policiers...

La plupart des groupes qui ont des chansons anti-flics ne dénoncent pas vraiment les personnes, mais plutôt ce qu'ils représentent, l'état répressif...

Bien sûr ! Moi même, dans mon adolescence, j'ai eu des petits problèmes avec la police, donc je comprends bien pourquoi les gens écrivent des textes comme ça. Mais écrire sur la répression policière a un côté trop cliché, on voulait montrer une autre vision des choses.

Pour finir, pourquoi n'avez-vous jamais joué en France ?

Ne me le demande pas ! Demande à MAD (ndb : Leur tourneur). Ce sont des bons potes qui font énormément de choses pour nous faire jouer. Il semblerait que chaque fois qu'on a voulu jouer en France ou à Paris, il n'y a jamais eu de promoteur ou de club avec qui MAD était en relation. C'est un manque de temps sans doute. Mais je suis sûr qu'ils vont arranger les choses. Ce serait chouette de traîner à Paris et de boire quelques bières chez vos disquaires (rires)...On n'a joué qu'une fois à Paris, avec Agnostic Front en 1998, donc on vous doit bien de bouger notre cul chez vous ! Peut être fin 2003 puisque nous retournons en tournée européenne.

As-tu quelque chose à ajouter ? Vous allez continuer sur la même voie, avec le même son ?

Tu vas trouver ça surprenant, mais notre dernier disque sonne plutôt comme nos débuts. On va aussi continuer à jouer des morceaux avec des influences irlandaises. Et puis il n'y aura pas de rap ! (Rire). Peut-être quelques morceaux influencés par Slade ou AC/DC. On a enregistré hier une reprise d' AC/DC « It's a long way to the top if you want to rock'n'roll ». On l'a faite juste pour le fun et elle ne sortira pas en disque, ou alors en face B si elle est vraiment bien. On s'est éclaté en la jouant ! On aimerait bien reprendre « We can't babe » de Rose Tatoo . J'écoute moins de punk et de hardcore ces derniers temps, davantage de trucs comme ça, comme les Who , Rolling Stones, Chuck Berry ...et tous ces trucs rock'n'roll des années 50, 60, 70 ou 80. Jouer ce genre de morceaux influencera peut être les jeunes à écouter des trucs plus anciens. La plupart des musiques actuelles sont de la merde. Ecoutez plutôt du 50's, 60's, 70's, 80's, de la oi !, du punk et du hardcore !

Merci pour l'interview Ben, et bonne chance avec « Une vie pour rien? … » et Lutèce Borgia ! !