FABIAN

Tiré de « Une vie pour rien ? » n°5-Novembre 2001

Connu pour certains, inconnu pour d'autres, Fabian a fait partie de la toute première génération de rasés parisiens (Les Halles). L'un des premiers supporters de LSD et dès le début des années 80 il s'investit dans différentes activités: il chante dans Bootboys, dont il a écrit une bonne partie des textes, avant de faire pas mal de sécu dans les milieux rock, c'est ensuite un des premiers vendeurs du London Styl, avant d'ouvrir son propre magasin, Chelsea, avec “Hooligan”. Très investi depuis toujours dans le football, il deviendra responsable du département supporter de son club, PSG, au milieu des années 90. Aujourd'hui il entraîne des jeunes dans un club de banlieue parisienne. Relativement détaché de la scène actuelle, il a un certain recul par rapport à tout ce qui a pu se passer à l'époque (politique, embrouilles...), un garçon très bavard, « Plus de souvenirs que de place dans sa tête ». Il nous faudra deux soirées complètes chez lui pour réaliser cette interview, et encore ce fut l'heure tardive qui nous arrêta.

Avant de commencer l'enregistrement, on parlait de LSD. Comment tu les as connus ?

Je les ai connus, alors ça n'existait pas en tant que groupe, ils avaient joué à Meudon bas, vu qu'ils étaient du coin, ils faisaient surtout des reprises de rockabilly à ce moment, c'était avant le concert du Gibus avec les skins des Halles, à l'époque du premier 45T..

Et tu l'as ?

Non, pour parler collector, des disques, pendant les 10 premières années, je n'en ai pas acheté. Il a fallu Chelsea pour me faire prendre conscience que les disques ça avait un certaine importance, et il a fallu Eric Saunier pour que je me rende compte, qu'un disque, ça pouvait valoir de l'argent. Avec notre argent, on préférait aller au concert et faire la fête que de s'acheter un disque, puisque les groupe tu les voyais régulièrement. Je me suis acheté le premier 33T des Clash et le premier des Jam mais sinon, je n'avais pratiquement pas de disques. D'ailleurs c'est marrant, l'étiquette " musique skin " est apparue à mon avis au moment où il y a eu la scission avec le RAC, au départ c'était rocksteady, punk et puis Sham et Cockney qui avaient une clientèle plus rasée que les autres.

Il a eu les compiles oi ! de Sound, non ?

Oui, mais même dans ces compiles il y avait des groupes marqués skins, mais il y avait aussi des groupes un peu beatniks. Et puis quand on parle de skins Trojan aussi, c'est tout ce qui s'est passé après 81 pour moi, à partir de 82 c'était t'es skin, mais t'es skin quoi ? Pour moi un skin c'était un skin, qu'il écoute du Trojan, qu'il écoute de la oi ! ou autre. Bon après on peut dire c'est pas un skin c'était un militant politique (ou pour une cause quelconque) qui arbore un look. Quand nous on était skins, on militait contre les mods et contre la société. Notre militantisme il était là.

Pourquoi contre les mods ?

Parce qu'il y a toujours eu une certaine rivalité. Et puis la logique voulait que le skin de base était middle class ou working class et que le mods était d'une classe beaucoup plus aisée. Et puis après il y a eu des histoires de jeunes femmes. Avec les premiers dzeumos sur Paris ça s'est réglé comme ça, il y avait des histoires " t'es mod t'es skin, je veux ton parka… " et puis les modettes sont venues faire du charme aux jeunes tondus, et quelques skingirls sont allées voir des mods, et ça devenait difficile de faire des histoires… Et puis il y a le fait aussi que lorsque tu vieillis, tu ne vas pas t'embrouiller avec des gamins. Il m'est arrivé un jour de croiser deux punks, ils étaient avec leur mère, tu as l'air con : " ha mais c'est une mode pour eux, monsieur… ". A partir du moment où le London styl a ouvert et a pu exister, c'est que ce n'était plus quelque chose de marginal. Nous les fringues, on allait les chercher à Londres : si tu croisais quelqu'un qui avait un Harrington ou un Fred Perry, c'était forcement quelqu'un qui était branché. C'est un peu comme aujourd'hui dans le rap.

Les premiers mecs de Halles, tu les as rencontrés comme ça ? Vous étiez combien ?

Pas plus de quinze skins, et encore on était rarement tous ensemble. Là où on se retrouvait c'était le Gibus et le Rose Bonbon. Après on se voyait aux Halles. C'était l'endroit où tu étais certain de rencontrer des gens que tu connaissais, quelque soit l'heure de la journée ou de la nuit. Et puis les fêtes le week-end, merci les mods. Et puis on traînait beaucoup, comme on bouffait plein d'amphétamines, on avait envie de tout sauf de rester sur place. Ensuite il y en a beaucoup qui ont dérivé sur des produits beaucoup plus contraignants. Après ce n'étaient plus des skins c'étaient des toxicos avec un look de skin. Après 81-82, les Halles n'existaient plus, quand tu vas voir quelqu'un avec qui tu as fait des conneries, et qu'il te dit « Attend je reviens j'ai un truc à voir », et que le truc à voir c'est comment il va se procurer son shoot… La bande des Halles, ce n'est pas une autre bande qui l'a eu, c'est la drogue. A partir du moment où les squats ont fermé, les Cascades, et la mort de Fan, il n'y avait plus de Halles.

Tu ne sais pas comment eux sont devenus skins ?

Honnêtement non. Tous autant qu'on est, moi le premier, on a été punks. En 77 j'avais mon mohican rouge, ça a duré 6 mois, après il y a eu le reading, Sham, les premiers skins sur Londres, et je me suis dis, c'est ce que je suis, ce qui me représente le plus. Il y avait le look, beaucoup plus agressif, virulent, le football, la bière, la fête, la musique.

Et c'était plus subversif aussi que le punk des salons ?

Au début, Métal urbain, Stinky toys, ce n'était pas ça. C'était il n'y a pas d'avenir, point. Moi, je raisonnais comme ça : pour nous, sortis de l'école il y aura le chômage, la galère, vous nous préparez un monde de merde, je vais me mettre à l'image de ce monde. Sur les textes, les pensées que j'ai écrites à cette époque, il y avait : « Je suis à l'image du monde que vous me proposez ». Sale, hirsute, les épingles à nourrices, pour effrayer le bourgeois, effrayer la société. Et puis également tu existais, tu n'étais pas noyé dans la masse. Ça a duré le temps que je découvre que les skins existaient. Pour moi c'était une démarche similaire avec celle des punks, mais en plus virile et contestataire, parce qu'il y avait aussi l'aspect violent, et lorsque tu es limité au niveau de tes opportunités, qu'est-ce qui marque le plus ? c'est la violence.

Tu parlais du rap tout à l'heure, il y a des similitudes dans ce que tu dis quand tu parles de la violence comme seul moyen d'expression, non ?

Si j'avais eu 17 ans maintenant, je pense que j'aurais été rappeur. Les rappeurs durs, c'est le côté le plus contestataire et virulent, tu as le même mal de vivre, d'exister, et il revendiquent ça dans leur paroles. Toute famille musicale qui arbore un look a forcément des raisons.

Est-ce que tu y pensais quand tu entraînais les gamins du club de foot de Clamart ?

Ils le savaient très bien, je ne cache rien, je ne renie rien, même si je ne suis pas fier de tout. La violence ne résout rien, maintenant ça peut se comprendre, mais le plus difficile est de ne pas y laisser libre cour. Les gamins, qui étaient branchés rap, me faisaient penser à moi il y a 15 ans. Ils auraient été Gaulois, ils auraient peut-être choisi autre chose, là le rap c'est leur mode d'expression. Mais quand on parle de skins des Halles, il y avait un beur, un black, un juif, on était skins, le reste ce n'était pas important.

En fait, ils ne comprenaient pas. J'ai eu un gamin qui m'a dit un jour, " toi tu n'es pas skin, tu n'es pas con ". Ou alors un qui m'a dit " Tu devrais enlever ça sur ton bras, si on ne te connais pas et qu'on lit ça ! " (ndlr : tatouage skinhead sur le bras) , et bien si tu lis ça et que tu me juge, tu n'a pas à me connaître.

Tu as quand même connu Sham en 77 avec la Sham army, qui avait plutôt une réputation de droite.

Pas à l'époque. La Sham army s'est durcit plus tard, avec la politisation générale. Même si il n'y avait pas de skins blacks dans la Sham Army , les skins blacks écoutaient plus du reggae. Mais il n'y avait pas de clivages et d'embrigadement politique. Pour moi, ça n'a commencé qu'en 81, avec l'arrivée de la gauche. Pour nous, on était skins, tu pouvais être blanc, beur, métis, tu étais skin. C'est ce qui délirant, la différence entre ce que c'était au départ et ce que c'est devenu par la suite.

Pour moi, même quand j'ai milité politiquement, je n'étais pas un skin qui militait, j'étais un citoyen lambda qui avait fait X années d'armée, qui demandait un toit pour sa famille et qui s'est vu refuser car il n'était pas prioritaire. C'était en 84, la grande époque où le gouvernement disait qu'il fallait faire des enfants, et aider les jeunes. La mère de mon fils était enceinte à 17 ans et demi et je venais de servir mon pays pendant 5 ans et j'estimais avoir droit à un toit. Comme je me suis vu refuser le droit de priorité, j'ai cherché qui pouvait prendre en considération mon cas. A cette époque il y avait quelqu'un qui disait « Les Français d'abord ». Ça m'a donc paru naturel de militer, non pas contre l'étranger, mais contre les gens qui étaient au pouvoir. Et j'ai eu le droit à cette époque de faire les chœurs pour La Souris qui n'ont rien trouvé de mieux que de me faire chanter « Nous sommes tous des étrangers ». C'était un beau pied de nez, et une façon de dire qu'il y a le droit à la différence, dans le respect. Si tu juges dans la masse, tu passes à côté de pas mal de choses, et j'ai eu cette chance, en étant aux Halles, de ne pas avoir eu le même cheminement que pas mal de skins pour qui c'était « Je n'aime pas les noirs donc je suis skin », c'est ce qui m'a dérangé dans la tournure que les choses ont prise.

Mais pour moi, être skin, ça n'a jamais été un engagement politique ou racial, contrairement à ce que c'est devenu par la suite. Parce que les médias l'ont tourné comme ça et que certains skinheads l'ont montré comme ça. C'est un peu comme si certaines personnes qui portent un costume cravate ont certaines idées, on dit que toutes les personnes qui ont le même look ont les mêmes valeurs et les mêmes idées. On a montré ce qui été le plus choquant et le plus provocateur, et celui qui s'est servi à merveille des médias a fait beaucoup plus de mal que tout ce qu'on pourrait penser. Il s'est servi d'un look. Tous les fafs ne sont pas skins et tous les skins ne sont pas fafs. Mon sentiment était quand même qu'en Angleterre, tous les Anglais sont fiers d'être anglais, même si ils sont noirs. Dans les problèmes raciaux que l'Angleterre a pu rencontrer, les revendications des blacks et des Pakistanais, c'était : « On veut être considérés comme des Anglais à part entière ", ce qui est une différence énorme avec la mentalité en France.

Est-ce que tu penses comme Tai-luc qu'être skin c'était un truc anglais ?

Oui, dès que j'avais la possibilité je partais à Londres. On était skins en France parce qu'on avait pas le temps ou pas les moyens de partir à Londres. Tous les premiers skins français ont squatté à Londres.

Et comment vous vous êtes retrouvés tous dans le même squat, les Français ?

Quand tu vas à Londres avec quelques potes, si tu ouvres un squat, tu l'ouvres avec les Français. A vrai dire, les Français qui étaient là-bas, ce n'était même pas des Parisiens, il y avait des gens d'Aix en Provence, de Marseille, des punks. Il n'y avait d'ailleurs pas de rivalité skin-punk comme il y a eu par la suite, l'ennemi, c'était le mods, pas l'étranger ou autre.

Et ça se passait bien avec les Anglais ?

Quelque part pour les Anglais, le skin Français ça n'existait pas. Tu étais Français, ils ne comprenaient pas, surtout si tu supportais un club anglais, dans leur esprit, tu étais " mad ". Après le problème était que des gens sont allés à des concerts comme ils allaient au cinéma, et puis le mouvement s'est durcit, et le sentiment anti-Français s'est accentué. De toutes manières, tu vas à Londres et tu as les Français qui débarquent par grappes, tu as un peu honte quelquefois. J'ai vécu l'expérience dans le métro londonien, j'étais avec un autre skin français, qui, au passage, est aujourd'hui un grand chanteur de reggae. On avait le look de l'époque, sta-press, Fred perry, Ben sherman, sheep-skin, Donkey jaket (le bomber n'existait pas), les touristes ne pouvaient donc pas s'imaginer qu'on était français. On entendait de ces commentaires, et plaisanteries bien primaires, jusqu'au moment où on leur a dit « Toi petit con… », « Ah vous êtes français, vous êtes comme nous », « Non on n'a rien à voir avec toi ». C'était exactement l'amalgame qu'il ne fallait pas faire. Après on s'en amusait, vivement l'été que les touristes arrivent. On avait le même délire, le même mode de vie que les skins anglais. Mais bon, quand on était dix Français à Londres, on restait les dix Français ensemble, on n'essayait pas trop d'aller vers l'autochtone. Je n'ai connu les Business que plus tard, par Eric Saunier (ndb: Hooligan), qui lui, vivait là-bas.

On est obligés de s'intéresser à la culture Anglaise, être skin et ne pas aimer le foot, bon… Ou alors ne s'intéresser qu'au RAC, ce n'est pas être skin, c'est être militant National Socialiste, bonehead. C'est comme quelqu'un qui est red-skin parce qu'il est avant tout politique, ce n'est pas un skin. Même quand je me suis engagé en politique, je ne l'ai surtout pas fait en tant que skin. Je pense même que pas mal de skins ont plutôt desservis la cause qu'ils pensaient défendre.

C'est ce qui a été vécu d'ailleurs au niveau du FN qui ont rapidement voulu se détacher des skins.

Oui, pour la simple et bonne raison que les skins sont difficilement gérables, et que c'était un look beaucoup trop voyant, et un mouvement trop marginal pour les ambitions politiques du FN à cette époque. En attendant, les premiers « soldats » ont été beaucoup de skins ou de jeunes avec un look similaire. Quand il y a eu tout le côté RAC et le côté extrême, je me suis demandé si je devais changer de look, mais je me suis dit que j'étais là avant, et que s'il y en a qui devaient abandonner, ce n'était pas moi. Je n'allais pas changer de look parce que quelques-uns revendiquaient des idées qui n'étaient pas les miennes. J'ai toujours considéré qu'être skin ce n'était pas être faf ou anti faf. « Pourquoi t'es skin ? » « Parce que je suis faf ou anti-faf » c'est débile comme raisonnement ! Le London Styl a été une bonne chose parce que ça permettait de ne pas être obligé d'aller à Londres pour ça, et ça a été une mauvaise chose parce que ça a été ouvert à beaucoup plus de monde. C'est devenu presque une mode. Je crois qu'il faut d'abord le vivre pour soi, quand tu commences à le vivre pour les autres, c'est qu'à la base ce n'est pas bon.

A mon avis ,il y a deux façons de voir les choses suivant les personnes : comme une façon de se différencier des autres/ de la masse, ou comme une manière de ressembler à d'autres personnes.

Oui, tu ne vas pas être skin pour ressembler à quelqu'un. Au départ, on était tellement peu et c'était tellement simple qu'on avait forcément pas mal de points communs. Tu étais skin parce que tu voulais exister en étant autre chose que ce que la masse te proposait, parce que tu était anti-establishment et que tu rejetais les valeurs telles qu'on voulait te les faire manger. Maintenant le mouvement skin est tellement varié que quelqu'un qui arbore un look skin aujourd'hui, je ne suis pas convaincu qu'on aie beaucoup de choses en commun. Et quelque part, se revendiquer skin aujourd'hui, ce n'est pas trop flatteur, du moins pour l'image qui en est véhiculée par les médias.

Oui, mais le but n'a jamais été non plus de donner spécialement une bonne image. Quand tu parlais des voyous aux Halles.

Pour appartenir aux Halles, il ne fallait pas forcément être le meilleur, le plus fort, mais il fallait être fier de ce que tu étais. Il fallait être prêt à défendre tes couleurs tout seul. Chacun était intégré à la bande parce que individuellement il assumait son truc. Après, les gens se sont rassemblés comme les bandes d'aujourd'hui, où tu as deux ou trois meneurs et les autres suivent, mais dès qu'ils se retrouvent tout seuls, ils sont incapables d'assumer. Je n'ai jamais supporté les gars qui ne disent rien quand ils sont tout seuls, mais lorsqu'ils sont à 5 ou 6, ils viennent te chercher. Aux Halles, celui qui faisait ça avec nous, c'est lui qui se serait fait taper. C'est ensuite l'image qui a changé au niveau des skins « Ils sont forts dès qu'ils sont en bande ». Aux Halles, quelqu'un comme Farid qui n'était pas un monstre, disait tout le temps : « Celui qui assure, ce n'est pas celui qui est le plus fort, c'est celui qui a peur ni de prendre ni de donner ». J'ai vu des gars dire « Tu vas me prendre mon Harrington parce que tu es deux fois plus gros que moi, mais je ne te le donnerais pas, et je le défendrai ». J'ai plus de respect pour quelqu'un qui raisonne comme ça que quelqu'un qui s'entraîne quatre heures par jour dans une salle de muscu. Quelque part tu ne pourras jamais lui enlever ce qu'il a dans la tête.

C'était forcement être embrouilleur, être skin ?

Être skin ce n'est pas forcement être embrouilleur, être hools, oui, tu peux être skin et hools. Les skins ont une image de fouteurs de merde, de buveurs de bière, et d'avoir autant de cerveau que de cheveux. Il y en a, mais il y en a aussi qui se servent bien de ce qu'il ont dans la tête, et il y en a même qui s'en servent pour penser pour les autres. Chacun reconnaîtra qui il a envie…

Il y a pas mal de skins qui sont branché techno maintenant, ça peut me paraître logique. Après avoir été pendant pas mal de temps dans une logique de rivalité et de rapports de force, quand tu vas dans le milieu techno c'est plus la fête et le délire. Quand tu es skin tu es soit embrouilleur soit susceptible d'avoir des embrouilles, donc à un moment tu en as marre. Il y a beaucoup trop de rapports de forces pour certains. Etre craint c'est ce qu'il y a de plus facile, être respecté c'est beaucoup plus difficile. Certains disent « Il faut faire ses preuves ». Les preuves ce n'est pas ponctuel, les gens qui arrivent à être vrai, sont ceux qui durent. Je suis resté en très bon termes avec des gens que je connais depuis vingt ans, on a évolué parfois différemment mais on respecte l'évolution de l'autre. Pour d'autres, je n'étais plus comme eux donc je ne faisais plus partie de leur monde, et quelque part heureusement car je n'ai pas envie de rester comme j'étais il y a vingt ans. Le concert de Business, pour moi c'était un pèlerinage, j'ai pris beaucoup de plaisir mais d'un autre côté, il y a vingt ans je me serais mêlé de l'embrouille (ndlr : concert de Business à la Péniche deux mois avant) . Ça m'aurait apporté quoi ? Faire parler les gens, tu existes à travers les autres. Il y a des gens que j'ai beaucoup de plaisir à voir et à côtoyer, mais pour d'autres ça ne m'empêche pas de dormir, loin de là.

Pour en revenir aux Anglais, il y a eu un concert des Jam à Paris où il y a eu beaucoup de supporters anglais. Madness également.

Je n'étais pas là quand les Jam ont joué a Paris, mais mes camarades ont pris une correction, une deux-CV d'un skin de chez nous a d'ailleurs brûlé à cette occasion. Non seulement il y avait tous les mods français qui étaient de la partie, mais les mods anglais ne sont pas forcément que des cibles : il y avait tout un contingent de Hard-mods qui avaient les moyens de répondre sans soucis. Mauvaise pioche, j'étais content de ne pas y être, je pense que j'aurais amélioré ma course à pied.

C'est un peu comme les clubs de foot : les Anglais quand ils aiment, ils aiment sans compter, c'est un mode de vie, c'est un choix. Madness avaient leur crew qui les suivaient partout, les Jam également. Comme un supporter anglais, il se déplacera partout pour son club, il n'y a qu'eux pour ça. Là où les Français se déplacent à 200, les Anglais sont 2000. Les groupes anglais avaient à chaque fois des suiveurs.

Et à chaque fois ça s'est mal passé ?

Il y a le fait que l'Anglais en France se sent supérieur, et à partir du moment où il est en nombre, il faut avoir du répondant. C'est comme pour France-Angleterre, on ne peut pas dire que ça ne se soit que bien passé pour nous : mon frère a pris un coup de hache, un des grands amis de la Souris a pris un coup de rasoir. Des Anglais ont pris aussi, d'ailleurs j'avais des amis Anglais en face. C'est un peu comme si West Ham venait jouer en France je serais un peu embêté si ça dégénérait, de devoir prendre parti.

Pour France-Angleterre, les Anglais vous avez été les chercher à gare du nord ?

Non, j'avais eu des amis anglais au téléphone, je savais qu'ils venaient en masse, entre autre pour démontrer que c'était bien eux les meilleurs, puisqu'à cette époque le hooliganisme parisien montait en puissance. C'est une des rares fois où il y a eu une trêve tacite en les différentes tendances du mouvement. On était d'accord, que ce soit Les Halles, Tolbiac ou Bonsergent pour dire que l'ennemi commun était l'Anglais qu'il fallait bouter hors du territoire. On a juste commis une erreur, on manquait un peu d'expérience à ce niveau là, c'est de se donner rendez-vous à Porte de St-Cloud alors que les Anglais étaient déjà dans la place. On s'est donnés rendez-vous deux heures avant le match alors que les Anglais étaient là depuis le matin. Ils avaient largement eu le temps de se regrouper lorsque nous sommes arrivés en petits groupes. Pour la petite histoire, à l'époque je travaillais chez Voek Structure, qui avait le brevet d'exclusivité sur les barres de fer, j'avais donc rempli mon coffre de ce genre d'ustensiles afin que tout le monde puisse en profiter. Quand on est arrivés, on a été se garer un peu plus loin et on a chargé, on le voit d'ailleurs dans un reportage à la télé. Le seul soucis c'est qu'on s'était donné rendez-vous avec les différentes bandes mais on ne s'est jamais retrouvés, alors qu'il y avait des Anglais partout, chacun a eu ses embrouilles de son côté. Je me suis retrouvé devant le Terminus (bar qui existe encore aujourd'hui), à charger les Anglais, ils se mettent en arc de cercle, donc en reculant intelligemment, avant de s'apercevoir qu'on n'était que six. Ils nous ont chargés tous en même temps, le premier a mangé, le deuxième un peu moins, le troisième m'a attrapé, j'ai jeté ma barre et je me suis barré ! J'ai trouvé refuge dans le café sous le flipper, mais le patron m'a gentiment invité à quitter le café car ils allaient tout casser à cause de moi. Il m'a ramené un de ses chiens, et bien j'ai fait le choix des chiens plutôt que les Anglais !

On est ensuite rentrés au stade, à l'époque il n'y avait pas une fouille comme maintenant, j'ai donc pu rentrer avec de quoi ne pas me faire mal aux mains. Les Anglais étaient déjà dans la place (Boulogne haut), il a donc fallu les virer, ce qui a encore donné lieu à des échauffourées. Et le gros des Anglais s'est retrouvé en bas. Les fonctionnaires de police avaient une logique assez marrante : « S'ils viennent on est avec vous pour leur taper sur la gueule, mais si vous descendez, vous vous débrouillez ». En bas ils étaient 500, des Français ont tout de même voulu faire les beaux, quelques hools et des skins, et ils se sont faits cueillir en bas des escaliers. Mon frère, qui était de la partie, a pris un coup de hachette à incendie (c'est après ce match qu'ont été prises les premières mesures de sécurité au parc, avant il n'y avait jamais eu d'incidents de cette ampleur), ce qui fait que je n'ai pas vu le match, j'ai eu juste le temps d'entendre la Marseillaise et de partir à l'hôpital, où là, d'autres Anglais nous attendaient. Puisqu'ils étaient dans la même situation avec des blessés accompagnés de quelques amis indemnes, on a continué notre confrontation dans les urgences, ça a été assez folklorique, jusqu'à l'intervention de la police. Je suis ensuite rentré au parc où ça s'était calmé, puis nous sommes allés avec quelques amis à gare du nord, nous avons croisé un groupe de cinq Anglais avec lesquels nous avons échangé quelques coups, avant de voir deux cafés remplis d'Anglais se vider sur nous….

Ça a été un truc assez mémorable puisqu'après il y a eu les images qui sont passées à la télé et qui ont fait le tour du monde où, entre autres sur la musique d'orange mécanique, on voit " Monsieur médias " dans ses œuvres. C'est tout à son honneur, car il est quand même allé dans la fosse aux lions ; il y a des choses qu'il faut reconnaître, descendre en bas se battre avec les Anglais alors qu'ils étaient en nombre, c'était faire preuve, et d'inconscience, et de courage.

Comment tu t'es retrouvé à bosser au PSG ?

Les raisons pour lesquelles j'ai accepté de bosser au PSG étaient principalement que je n'acceptais plus la violence gratuite et surtout la violence lâche. Que tu te battes avec des hools et des gens qui sont comme toi et contre toi, c'est logique, par contre que tu t'en prennes à un père de famille avec son gamin qui se retrouve dans la tribune Boulogne par erreur, c'est des choses que j'ai vues et que je n'accepte pas. Mon fils va au parc, lui il y va pour voir un match de foot et rien d'autre, ça m'embêterait qu'il soit pris à partie par un hools quelconque. J'y suis allé avec des yeux de gamins « C'est le club que je supporte, je vais croiser les joueurs… ». Tu t'aperçois que les joueurs ce sont des êtres humains et que certains ne méritent rien d'autre que de prendre des gifles, ou n'ont rien dans la tête, et que les dirigeants, la seule chose qui les intéressent, c'est de faire des bénéfices. Le supporter lambda ils s'en foutent. Ils vendent un spectacle, donc le jeune qui est passionné et qui n'agit pas comme ils le souhaitent, c'est un problème pour eux. Le clash est venu quand j'ai refusé d'être un assistant des Renseignements généraux et de faire le travail de la police. Lorsque l'on voit ce que c'est devenu, je n'ai pas de regret d'avoir arrêté, je dirai que c'est un gâchis.

Les dirigeants n'en ont pas tiré les leçons. Ils ne changeront pas. J'avais écrit un texte qui disait « Chacun sa place ». Le rôle du supporter n'est pas de faire rentrer de l'argent, il doit être fier de ses couleurs dans les tribunes, le joueur sur le terrain et le dirigeant dans les tribunes, et non pas être près à vendre son âme pour plus d'argent. Micky (ndb: Fitz, chanteur de Business) me disait : « Quand tu vas en déplacement avec West Ham, quelque soit le résultat, les joueurs viennent te saluer ».

C'est la première équipe que tu as été voir à Londres ?

Non, quitte à casser le mythe, quand on allait à Londres, au début, on allait voir Totenham. Le choix de West Ham s'est ensuite fait à travers les Cockney et Business.

En tout cas, à propos de l'évolution du foot, on va de plus en plus dans un sens où les dirigeants ne s'intéressent qu'aux profits et les joueurs se foutent du public.

Un joueur comme Le Guen ne comprend pas pourquoi il y a des gens qui s'excitent dans les tribunes, tu ne peux pas comprendre lorsque tu n'as jamais été supporter. Les Anglais ont le respect de leur public, et les Français qui jouent en Angleterre aussi.

Pas Anelka…

Anelka, il n'a de respect pour personne et je ne sais même pas s'il a du respect pour lui même.

Comment s'est venu que tu fasses la sécu avec Sergio et les autres?

J'ai connu Gerald de Rock à l'usine dans des squats autonomes, où nous allions à l'époque des Halles, malgré nos différences pour certains.

Beaucoup de gens faisaient la remarque à l'époque : « Fabian il est skin, de droite et il fait la sécu pour des groupes de gauche ».

Ne serait ce que quand j'ai fait la sécu pour les Bérus. Il y avait eu un festival à Lisieux où les tractations avaient été sur ma présence en sécu. En fin de compte tout le monde avait dit « OK ça ne pose pas de problème ». Ils étaient tous au courant que je bossais mais ils ont tous fait les étonnés devant leurs copains. De toutes manières, le chanteur venait à Chelsea. Et puis je fais de la sécu, pas du militantisme, j'ai fait des groupes de rap, c'était autrement plus costaud. Il y avait de tout dans la sécu, c'est ce qui permettait d'éviter les partis pris. Mais là où j'ai eu le plus de problème en sécu, c'est avec des skins, dans les soirée techno, il fallait leur expliquer qu'il ne pouvaient pas tout se permettre parce que j'étais à la sécu, qu'ils n'étaient pas en terrain conquis.

A un concert des Bérus à Cherbourg, on est venu me voir « Il y a quelqu'un qui a un drapeau français sur son blouson il faut lui faire enlever », et moi j'en ai un de tatoué, qu'est ce que tu veux faire ! Bon après je ne le montre pas, je ne fait pas de provocation. Mais si on te tape dessus, ça ne va pas te faire changer. Je disais ça à un pote rebeu, c'est toi qui me fait voir les choses autrement, ou des gens comme Sergio, pas les mecs qui vont me foutre sur la gueule. J'ai trois films cultes : " American history X ", ça résume vraiment ce qu'est le mouvement : il y en a qui sont durs et entiers dans l'extrême, il y en qui jouent à ça mais qui ne sont pas capables de l'assumer, il y en a qui ne correspondent pas à l'image qu'ils donnent, quand tu grattes un peu tu t'aperçois qu'entre le discours et les fait il y a tout un monde. A part la prison, j'ai eu la même démarche. Ensuite il y a «Brave Heart », aller au bout de tes idées, et puis j'ai eu des amis qui m'ont trahis pour de l'argent, qui m'ont donné à la direction du PSG, en disant que de toutes façons j'étais du côté des supporters. C'était vrai, ce n'est pas parce que j'étais bien payé que je devais me renier, ce qu'ils voulaient faire de Boulogne et des supporters, je ne l'acceptais pas. Travailler au PSG, même s'il y avait des choses qu'on ne partageait pas, ça ne me dérangeait pas. Par contre à partir du moment où ils me demandaient de dénoncer des gars dans l'intérêt du club, ce n'était pas possible. Enfin, il y a « The Wall », d'abord parce que j'ai joué dedans, en tant que figurant, et puis tout le contexte concert et défonce. Quand tu te tapes de tels délires que tu mets en danger les gens que tu aimes, tu arrêtes.