FABRIZIO BARILE

Tiré de « Une vie pour rien ? » n°6-Juillet 2003

Skinhead depuis le tout début des années 80 à Gênes, Fabrizio Barile a été un des gros activistes de la scène oi! / punk Italienne dans les années 80, notamment dans la distribution de disques. Il a ensuite commencé à prendre des photos, et depuis la fin des années 80 il a couvert une grosse partie de la scène italienne par ses clichés, notamment en suivant Klasse Kriminale, ses voisins de Savona, qu'il connaît depuis le tout début. J'ai rencontré Fabrizio par hasard à un festival à Berlin où il suivait KK, et vendait son livre "Generazione Fuori Controllo, Punk + Skin = TNT", en fait le catalogue de sa dernière expo, qui vaut largement tous les photobooks sur les skinheads sortis ces dernières années. Voilà donc une petite interview non préparée, même si j'avais déjà entendu parler du lascar.

Est-ce que tu peux te présenter ? Comment tu as connu la scène skinhead ?

J'ai été réellement skinhead au début des années 80. J'avais un besoin d'avoir un groupe au sein duquel partager des choses, comme la musique et beaucoup d'autres qui étaient importantes pour nous. Au début la scène Italienne était un peu à l'image de la scène anglaise de la fin des années 70. Nous n'avions pas une idée précise de cette scène cependant. Les nouvelles arrivaient de façon très fragmentaire, il n'y avait pas beaucoup de moyen de communication. Le dénominateur commun était de vouloir s'évader de notre quotidien. Nous avons donc créé notre propre groupe, pour nous ça a été les skinheads Mais comme je l'explique dans mon livre, chaque époque a sa génération de jeunes hors contrôle. Si j'étais né à une autre période, j'aurais probablement été teddy boy ou n'importe quel autre mouvement hors de la norme.

Comment était la scène à cette époque ? Les groupes Italiens parlent souvent de la rue (la strada)…

En 1981-82, nous étions 6 skinheads à Gênes, nous avions notre bande à part. Nous étions en contact avec d'autres groupes à Bologne, parfois à Milan, Parme… Mais nous voulions être à part du reste de la scène génoise. Nous vivions effectivement beaucoup dans la rue, je venais de la banlieue, mon père était ouvrier, j'avais donc déjà cette culture, qui est importante.

Il y avait des groupes à Gênes ?

Oui il y avait les Gangland, le groupe de notre crew qui était le meilleur groupe oi ! à ce moment à Gênes ; formé de Maurino, le premier skinhead de Gênes, à la guitare, Guffi le chanteur, Tonino à la batterie, et le frère de Tonino à la basse. Il ont commencé en 81 et ont fait des concerts sur Gênes et un à l'extérieur au 3 ème raduno oi ! 83 (ndb : les festivals organisés par Steno le chanteur de Nabat). Ils ont sorti une démo enregistrée en répète, qui avait un très mauvais son. C'est pour cette raison qu'il ont été écartés de la compilation « Quelli che urlano ancora » sur laquelle ils devaient figurer. En tant que fou de disques, après tant d'années, il manquait dans ma collection un 45 tours de Gangland. C'est pourquoi j'ai décidé de produire ce 45T (ndb : Gangland « lost and found », Lanterna rec) en 95, de faire nettoyer et remasteriser l'enregistrement en studio, où ils ont fait un miracle à mon avis.

Le troisième raduno oi ! est celui qui s'est mal passé et marque l'arrivée de la politique, de droite en l'occurrence dans la scène Italienne, non ?

Oui, effectivement, avant il n'y avait jamais eu de problèmes de ce genre, et c'est un tournant même si les années les plus politisées arriveront plutôt en 85-86. Au début, la gauche n'a pas réussi à contrôler la situation et s'est retrouvée en difficulté par rapport à ça. Avant il n'y avait pas l'exigence d'être politisé pour les skinheads.

Des groupes comme Nabat n'étaient pas politisés pour toi ?

Il suffit de parler pour être politique, ce qui casse tout c'est la politique faite pour les partis. Nabat ont fait leur propre politique, ne pas vivre passivement les choses, ne pas baisser la tête, mais pas une politique dans le sens strict du mot. Le morceau « Nichilistagio » (ndb : nihiliste ?) est politique dans ce sens, même s'il peut être mal interprété.

  Gangland faisaient partie de même scène que Nabat et les autres groupe de la CAS rec (label des Nabat) ou est-ce qu'il y avait des rivalités entre les villes ?

Non il n'y avait pas vraiment de rivalités entre les groupes oi !, par contre il y en avait beaucoup entre les groupes oi ! et les groupes punk. C'était le cas spécialement à Bologne, à tel point que Steno a sorti le single « Skin et Punk = TNT » pour essayer de réconcilier ces deux scènes.

Comment tu expliques cela ?

A l'époque nous avions besoin d'avoir un ennemi à combattre, si nous ne l'avions pas nous nous le créions.

Tu as fait également de la vente par correspondance dans les années 80 ? Est-ce qu'il y avait une véritable scène avec labels, distributions à l'époque ?

Oui, j'ai distribué une grosse partie de la production indépendante de l'époque. A l'époque il y avait beaucoup moins de distributeurs qu'aujourd'hui car il n'y avait pas les même moyens de communication. Aujourd'hui avec Internet, tu es en contact immédiat avec le monde entier. A l'époque même pour communiquer d'une ville à l'autre ce n'était pas forcément évident. Pour les labels, il y avait CAS record des Nabat, Meccano qui avait fait le 45T. des Rough et qui a sorti d'autres productions indépendantes, mais il y avait surtout énormément d'autoproductions.

Tu disais que tu aurais été différent si tu étais né à une autre époque, qu'est-ce qui te paraît intéressant en ce moment ?

En ce moment je suis les skaters, ils ont une attitude analogue au punk, même s'ils ont des skates en dessous des pieds. Je suis allé à un rassemblement de 3 jours et ils m'ont vraiment impressionné, je ferai probablement quelque chose sur eux.

Et alors comment vois-tu les jeunes qui deviennent skin ou punk aujourd'hui ?

Très bien ! Pour moi c'est une grande joie. Cela signifie que je n'ai pas donné pour rien pas mal d'années de ma vie. Et cela signifie que ce qui me plaisait plaît encore. C'est une continuation, même si je m'intéresse encore à cela, j'ai maintenant 41 ans. D'après moi le punk est un phénomène qui n'est jamais mort, il y a toujours eu des groupes, des disques, des concerts et des gens pour faire une interview en buvant une bière. La situation n'est pas la même, nous avons des problèmes différents de ceux de 77 mais le dénominateur commun est le même. Pour moi les rebelles dans un sens entier comme dans les années 80 sont beaucoup moins présents. Par contre je pense qu'ils sont bien plus intelligents. Les meilleurs concerts que j'ai vus, c'était dans les années 90. Quand j'ai pu voir un concert du début à la fin, sans qu'il y ait 10 gueules cassées. Les gens ont compris certaines choses. Pourquoi se battre entre nous alors que l'on peut s'amuser ensemble. Ce n'est pas une façon de combattre le système, tu te boycottes toi-même.

Les skins des années 90 ont été nombreux dans les centres sociaux (l'équivalent des squats en Italie), qu'en penses–tu ? Est-ce la continuité de la scène des années 80 ou est-ce que cela t'a surpris ?

Dans les années 80, les skins restaient en dehors des centres sociaux. Dans les années 90, ils ont su s'y faire une place, il se sont créé leurs propres espaces, qui sont devenus très importants. C'est une des améliorations dont je te parlais. Cependant, j'ai parfois trouvé certaines mentalités très fermées dans les centres sociaux, au contraire de ce qu'elles devraient être selon moi. Mais des concerts comme Cock Sparrer, Menace ou Angelic Upstarts ont été possibles grâce à cette implication.

Parlons un peu plus de tes activités photographiques, quand as-tu commencé ?

En 1989, j'ai commencé à fréquenter un cercle de photographes à Gênes. Ils m'ont appris à développer le noir et blanc, je me suis acheté un appareil, un livre pour la technique, et j'ai décidé de photographier tout ce qui bougeait ! Après petit à petit, j'ai essayé de rationaliser mon travail, et traiter un sujet donné. Je n'ai pas photographié que des punks et des skins. Sur chaque sujet, je pense aux photos que je veux faire, et ensuite je cherche à le réaliser. Par exemple, sur les skaters, je suis en contact avec un fille qui a fait une thèse là-dessus. Je vais l'étudier, et ensuite je penserai aux photos que je veux faire et qui pourront m'orienter vers ce qu'est la culture des skaters. J'ai fait également toute une série de photographies sur la vie nocturne génoise, c'était d'ailleurs assez dangereux puisque le monde de la prostitution et de la drogue n'est bien sûr pas des plus simples à photographier. Il est important pour moi de suivre un fil conducteur lorsque l'on photographie.

Est-ce que tu peux nous parler de certaines de tes photos qui te plaisent particulièrement ?

Une photo à laquelle je tiens particulièrement est celle de Marco avec les journaux derrière. A cette période (93-94) en Italie les journalistes ont fait des tas d'articles délirants sur le mouvement oi ! sans avoir jamais même parlé à un skinhead. Les Klasse Kriminale aussi ont eu de gros problèmes notamment, étant considérés comme des nazis, ce qui était totalement faux. On en a parlé avec Marco, lui a imaginé une chanson (« vi accuso ») et moi j'ai imaginé la photo.

Une autre photo importante est celle en couverture du livre (Gênes, 1990). C'est un français que j'ai photographié juste à cette occasion, je ne me rappelle plus de son nom et je ne l'ai jamais revu. L'esprit que je voulais faire ressortir de ce livre est résumé dans cette photo. Des gars l'ont utilisée pour un concert en Toscane sans m'en parler, j'allais au concert et quand j'ai vu l'affiche, ça m'a fait vraiment très plaisir, je me suis dit, à eux aussi ça parle… Ca me fait toujours plaisir quand on utilise mes photos, bien sûr je préfère qu'il y ait un contact, ne serait-ce que pour ma collection, je suis content d'avoir une copie.

La photo récente de Steno est spéciale également. A un concert, un garçon avait un blouson sur lequel était écrit « skins and punks = TNT », je lui ai dit, attends-moi je veux faire une photo avec un ami. Je suis allé cherché Steno qui faisait les balance avec son groupe « Steno e Laida Bologna Kids », je lui ai dit «s'il te plaît, arrête toi un instant, il faut que je prenne une photo». Et j'ai pris la photo quand ils ne s'y attendaient pas. Pour moi c'est une photo qui raconte une histoire, des générations anciennes et nouvelles qui ont les mêmes principes.

Il y a aussi ce gars au concert de Sham 69 qui est resté toute la soirée devant la scène, à demander à Jimmy Pursey de lui faire un autographe sur le bras. Finalement le service d'ordre l'a laissé rentrer en backstage, Jimmy Pursey lui a signé le bras et le jour d'après il est allé se le faire tatouer.

Dans la série des photos du disque « Electric caravans » de Klasse Kriminale, il y en a une qui n'était pas préparée, quand j'ai pris ces deux jeunes en train de discuter. Nous étions dans un campement de gens qui travaillaient sur les fêtes foraines. Au début ils sont venus avec les chiens, nous leur avons expliqué, et nous sommes devenu amis, il y a une photo avec eux dans le livret du disque.

Peux-tu nous parler de cette exposition dont est issu le livre « Generazione fuori controllo, punk + skin = TNT » ? Avais tu déjà exposé avant ?

Oui, au départ l'exposition s'appelait « Vivere skinhead » (vivre skinhead) et était plus orientée sur les skinheads. Elle a tourné à 5-6 endroits différents en Italie. Puis au fur et à mesure, j'ai inséré des photos de punks que j'avais prises au fil des ans.

Quelque chose que tu aimerais ajouter ?

J'ai exposé mes photos dans cette librairie à Gênes, ça a été une expérience formidable. J'aimerais faire tourner cette exposition dans d'autres endroits, librairies, centre sociaux… Si quelqu'un est intéressé, qu'il n'hésite pas à me contacter.