NABAT

Tiré de "Une vie pour rien?" n°1-1997

Pour ce premier numéro de “Une vie pour rien”, je voulais faire un grand article sur le célèbre et surtout le meilleur groupe skinhead italien, Nabat. Voici donc pour commencer une interview de Steno, le chanteur, parue dans le magazine « rock » italien « Rockerilla » en novembre 1985.

Derrière Nabat se cache l'un des premiers et plus actifs labels indépendants d'Italie, CAS Records. Son activité concerne aussi bien la production de disques que l'organisation de concerts. Cela donne (et pas uniquement aux groupes sur CAS) l'opportunité de passer en dépit des problèmes et de l'incompréhension que beaucoup d'entre vous connaissent parfaitement.

Il existe au sein de Nabat une ferme volonté d'ouvrir de nouvelles voies. Un regard vers le passé pour ne pas oublier certaines leçons et le courage de démystifier les lieux communs imbéciles impliquent Steno et les autres dans la recherche d'un rôle inédit pour un groupe skinhead (attention, pas oi !) ; un groupe skinhead original et populaire, négligeant le sectarisme, un groupe skinhead pour tout le monde !

La gestion totalement artisanale de CAS est en train de porter ses fruits : en Europe, en Amérique, Nabat s'est fait une place ; peut-être que d'autres groupes plus chanceux ont été plus rapides, mais les membres de Nabat n'ont jamais aspiré à un succès éclatant. Il y a sans cesse des demandes pour qu'ils viennent se produire à l'étranger, mais ils ont une attitude plutôt humble, ils se sentent un peu gênés par les comptes-rendus et les lettres de fans qui veulent les voir. Les membres de Nabat travaillent, ils doivent donc attendre le samedi soir pour jouer et le plus souvent ils demandent juste le remboursement des frais. Nous avons de la chance en Italie, nous avons un grand, un vrai, un honnête groupe !

Alors, parlez-nous de l'intérêt que vous a réservé l'Europe dernièrement ?

Nous sommes très contents dont se déroulent les choses , il paraît que nous sommes un groupe assez bien suivi et nous en sommes très satisfaits. Il faut également dire que parfois les étrangers ont tendance à faire un peu de confusion. Aux USA, « Maximum R'n'R » s'est déclaré enthousiasmé par la compilation française « Chaos en Europe » où figure un de nos morceaux, qui à part quelques passages, ne m'a pas impressionné, au contraire. Par contre, ils ont été très déçus par notre compil LP « Quelli ».

Depuis le concert de mars dernier à Genève, vous n'avez plus joué à l'étranger. C'est toujours pour des problèmes de travail que vous avez tendance à refuser des tournées ?

Non pas nécessairement. Il est clair que nous travaillons tous et que cela implique des limites, mais de toutes manières, les autres tournées qu'on nous avait proposées ont sauté pour des raisons d'ordre technique, même si en ce moment nous sommes en train de négocier avec les Yougoslaves U.B.R. pour une série de dates.

En Italie, vous avez espacé vos exhibitions, surtout que tu me disais parce que vous êtes en train d'essayer un nouveau matériel pour le nouveau LP…

Oui, pour le moment, nous sommes en studio, engagés dans la réalisation du nouveau disque auquel nous tenons particulièrement. Nous disposerons d'une instrumentation élargie aux instruments à vent et aux claviers. Nous avons décidé d'améliorer notre profil strictement musical, vous entendrez un reggae grandiose, « Martò », de notre vieux répertoire qui sera restructuré. A propos, peut-être que tout le monde ne connaît pas l'histoire de « Martò ». Il y avait deux groupes à Bologne dans les années 60, les Jaguars, qui plus tard sont devenus les Pook et les Judas. Martò était le chanteur des Judas qui représentaient les rockers alors que les Jaggars représentaient la partie douce comme d'ailleurs le laisse penser la fin qu'ils ont eue. C'était en quelque sorte une dualité conflictuelle comme celle entre les Beatles et les Rolling Stones. La curiosité est qu'après s'être séparés au début des années 70, ils se reformeront en 77, enragés, et graveront un LP de titre « PUNK » (entre nous excellent) de rock'n'roll « tirato ». Tout finit l'année suivante à la suite de la mort de Martò dans un accident de la route. Dans les années 60, ils conquirent une large notoriété en jouant dans les dancings. Il existe des copies du journal « Resto del Carlino » qui parlait des concerts qui firent éclat en raison de l'impact de leur son et pour le public 500-600 personnes, beaucoup pour l'époque. Ils refusèrent même les propositions des « chasseurs de talents » (parmi lesquels Boncompagni). Dans le contrat, ils demandaient l'abandon de leur attitude révoltée. Ils étaient précisément de notre quartier, S. Donato, c'est l'une des multiples raisons pour lesquelles nous nous sentons liés à eux.

La récente arrivée à la guitare de Red était vraiment ce que Nabat cherchait depuis pas mal de temps, tu ne trouves pas ?

Oui, nous nous entendons à la perfection, aussi bien en tant que personne qu'en tant que musicien parce qu'il a su s'adapter aux exigences du groupe de manière, je dirais parfaite. Il faut savoir également que cela a été facilité par notre amitié qui remonte à l'époque où il militait dans Dioxina.

Comment a marché votre LP compilation « Quelli che urlano ancora » (ceux qui hurlent encore) ? On a entendu parler de polémique concernant des obligations de participation qui n'auraient pas été respectées.

Le disque marche assez bien, nous sommes à peu près à 800 copies vendues, ce qui, si on considère la distribution militante, est excellent. Nous avons également entendu parler de gens qui revendiquaient une participation mais nous ne savons pas bien à quel titre. Nous ne nous sentons redevables envers personne. Nous avons favorisé des groupes qui, selon nous, aussi bien par amitié que pour des raisons musicales, méritaient de représenter la oi ! italienne plutôt que d'autres, nous espérons avoir réussi à montrer la réalité de ceux qui y jouent.

On vous voit à des concerts plus diversifiés, de Euzztones à Rage, de Lords à New Model Army, à Green on Red. Vous avez seulement faim de concerts ou au contraire cela vous plaît d'écouter différentes tendances ?

Nous aimons avoir une idée complète du panorama actuel. Après, aux concerts, il est possible de rencontrer des gens que tu n'as pas vus depuis longtemps. Je tiens à dire que les groupes qui m'ont le plus impressionné sont Rage, qui malheureusement étaient pénalisés par une amplification indécente, et les Fuzztones, monstrueux ! Ils ont créé une ambiance incroyable où les gens s'amusaient comme rarement il m'a été donné de voir.

Que pensez-vous de la récupération musicale et sociale opérée par les Redskins, que certains s'entêtent à appeler « Pellerossa » et non Redskin ?

A propos, je voudrais clarifier quelques faits : je ne suis pas d'accord avec ceux qui nient aux autres leur véritable identité, ils ont fait quelque chose que peu de groupes dans les dernières années avaient fait ; avec le handicap d'être un groupe skin, ils sont arrivés aux premières places des charts anglais, cela en faisant une musique pas commerciale du tout, et en restant fermement attachés à leurs principes. Les Redskins effectuent une récupération intelligente en rénovant le modèle de la soul de Staxmotown, adaptant leurs textes qui reflètent la vie et les problèmes des nombreux jeunes qui leur ressemblent. Mais le plus important est qu'ils ont ouvert une alternative suivie par Red London, Burial et pourquoi pas, nous : nous avons les mêmes idées, nous aimons la vérité.

Votre politique de production vous amènera-t-elle dans le futur à ajouter d'autres groupes de la péninsule ?

Bien sûr ! Le problème est toujours de nature économique, nous réalisons toujours les disques avec l'argent de la dernière production. Avec l'argent de « Scenderemo nelle strade » et de « Laida Bologna », nous mettrons sur pied notre LP, puis si tout se passe bien, y compris concernant la compilation anglaise « Oi ! The Tightens Up » à laquelle nous participons, nous prendrons en considération d'autres groupes en plus de F.U.N. et Klaxon de Rome qui, avec Not Moving, Four by art et Cani sont, à mon avis, ceux ayant la personnalité la plus marquée. En pratique, les EPs de Klaxon et F.U.N. devaient sortir avant notre LP, mais ils ont eu des ennuis de studio à Rome et ils sont encore en train de voir s'ils peuvent atteindre des résultats plus satisfaisants.

Steno, quels souvenirs te viennent à l'esprit depuis les premiers pas du festival de Monza ? Est-ce que tu referais tous les efforts et les sacrifices qui vous ont menés jusqu'ici ?

Du premier au dernier ! Je referais tout ce que j'ai fait ; bien sûr je ne peux oublier la période de 81 à 83, riche en événements excitants au cours desquels la participation était importante. Il y avait un climat de fête avec la volonté de rester ensemble, de s'amuser et se défouler sans penser à des conneries. De toutes façons, il ne faut pas avoir de nostalgie par rapport au passé, l'important c'est toujours le futur, engageons-nous pour garder en vie ce que nous avons conquit à prix fort. Cela est important, rappelons-nous en !

Depuis 1985, il s'est passé bien entendu beaucoup de choses. Pour résumer, Nabat splitte et 2 membres du groupe, Uiui et Stefano forment The Stab, dans un style beaucoup plus punk-rock. En 1992 à un concert de The Stab, surprise, alors que le concert devait finir, Steno monte sur la scène et prend le micro pour chanter quelques titres de Nabat. Vu l'enthousiasme général, ce qui ne devait être qu'un bœuf donnera finalement un album live 8 titres sorti sur Twins. Nabat finalement se reforme vraiment- avec Steno (voix, harmonica), Ricardo (guitare), Abbondante (basse), Toppi (batterie)- et sort en 1996 un album « Nati per niente » sur le label « La banda Bonnot ».

 

Suit maintenant mon interview réalisée en avril 1997.

Pourquoi et quand aviez-vous arrêté le groupe ? Pourquoi vous êtes-vous reformés ?

Nous nous sommes arrêtés en 1987 parce que nous avions 9 ans d'histoire ininterrompue et nous étions un peu fatigués, c'était toujours plus difficile de s'autoproduire, le circuit indépendant que nous avions tenté de créer avait à ce moment-là le souffle court. Il n'y avait plus l'esprit des premières années, enfin la tournure prise par le « mouvement » ces dernières années ne nous plaisait absolument pas.

Que pensez-vous de la scène italienne ? mondiale ? Beaucoup de groupes italiens se disent influencés par vous ; vous retrouvez-vous dans ces groupes ?

Bah, disons qu'aujourd'hui aussi bien la scène italienne que celle internationale est très vivante ; en Italie elle l'est plus que dans les années 80, surtout depuis qu'est né le SHARP que nous voyons d'un œil très favorable. Cela nous fait plaisir que beaucoup de jeunes groupes se disent influencés par Nabat, cela veut dire que le travail des années passées n'a pas été perdu et que les kids n'ont pas oublié Nabat.

Pensez-vous qu'il y ait plus de groupes et de public aujourd'hui en Italie qu'au début des années 80 ? Sont-ils meilleurs à votre avis ?

Il y a sûrement plus de public maintenant que dans les années 80. Au pire, nous jouons devant 300/400 personnes, et dans le meilleur des cas devant 2000/3000 personnes. Dans les années 80, il y avait beaucoup moins de gens qui venaient à nos concerts. Il y a également beaucoup de bons groupes en Italie, difficile de te dire lesquels sont les meilleurs, mais voici quand même : Klaxon, Tremende, Ghetto 84, Erode, Klasse Kriminale, Giulano Palma and the Bluesbeaters, Banda Bassotti, Radici nel cemento, Sud sound system, N.I.A. punx, Colonna infame… et beaucoup d'autres.

Comptez-vous être plus connus désormais à l'étranger, car avant il était presque impossible de se procurer vos disques ? Est-ce que cela est une motivation importante ?

Oui, bien sûr maintenant nous sommes plus connus, même si ce n'est pas la raison qui nous a poussés à nous reformer.

Combien avez-vous fait de concerts avant ? Depuis votre reformation ? Et où ?

Dans les années 80, nous avons fait probablement une centaine de concerts ça et là en Italie. Après la reformation, une quinzaine. Nous n'avons encore jamais joué à l'étranger même si nous avons des contacts pour l'Espagne, la Belgique , l'Allemagne.

De quoi parlent vos paroles ? Etes-vous toujours engagés comme à l'époque ? Avez-vous déjà eu des problèmes du faits de ces positions engagées ?

Nous parlons de notre vie quotidienne, des problèmes que nous avons tous : le travail, l'exploitation, etc. Dans le disque de 1996 « Nati per niente », quelques morceaux (« cosa rimane », « decidi per me ») sont dédiés à des amis qui ne sont plus, d'autres abordent d'autres thèmes, comme je te disais, le travail, l'exploitation, le racisme. Bon, l'engagement est une chose qui nous regarde en tant que groupe et en tant que personne : peut-être que tu ne nous entendras plus hurler « contro il potere ! » (contre le pouvoir) comme il y a 15 ans, mais nous n'avons sûrement pas changé. Comme nous te le disions, nous préférons parler de problèmes plus quotidiens. L'engagement nous préférons le reverser dans les choses que nous faisons tous les jours. Nous avons eu beaucoup de problèmes au cours des années. Evidemment, un groupe qui te parle de la rage qu'il y a dans la rue, qui chante sur la vie de merde qu'ont les prolétaires, n'est pas bien vu de l' « establishement ».

Vous avez eu des problèmes à l'époque avec les journalistes, pouvez-vous les expliquer ?

Simplement, beaucoup de critiques musicaux ne nous aimaient pas. Peut-être parce que nous étions trop « vrais » pour eux.

Pourquoi une si grande différence entre les 2 albums et les prestations live ? Préférez-vous les lives ou les studios ?

Bah, les lives du groupe qui tournent ne sont pas plus que des « bootlegs » (NDRL : il parle ici des K7 live, relativement courantes il est vrai, de Nabat et non pas de l'album live sorti en 1992 sur Twins Records). Nous aimons la dimension « live », mais quoi qu'il en soit, dans les deux cas nous cherchons à faire mieux.

Vous avez fait des reprises live de groupes ska (Symarip, The Maytals) et vous semblez influencés par ce style de musique, mais pas de compositions personnelles à part peut-être le morceau reggae « Mastò ». Pourquoi ?

Le ska, le reggae, la soul et le blues font partie de notre bagage musical/culturel. Dans « Nati per niente », il y a un morceau dub « Iqbal masih ». Il y a des influences blues et également soul. Malgré tout, nous vous surprendrons prochainement. Vous entendrez toutes ces influences dans les nouveaux travaux de Nabat !

Quels disques sont sortis sur CAS Records ? Quand est-ce que ça a arrêté ? Pourquoi ?

Tous nos disques sortiront sur CAS plus d'autres disques d'autres groupes punk et oi ! italiens. Nous avons arrêté en 1987 parce que nous n'arrivions pas joindre les deux bouts.

Que pensez-vous des prix auxquels se vendent aujourd'hui vos disques et tous ceux sortis sur CAS Records ? Etes-vous flattés ou déçus que tout le monde ne puisse pas se les offrir ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu de rééditions ?

Nous respectons beaucoup ces années. Nous sommes tout de même contents de ce que nous avons fait. Nous n'avons jamais rien réédité par manque d'argent. Maintenant nous verrons, qui sait ? Il y a une idée de rééditer notre ancien matériel…

A part « No armi » et « Nichilistaggio », est-ce que les autres titres du LP « Nati per niente » sont récents ? Est-ce que ces deux morceaux sont les seuls qui n'étaient pas sortis en vinyle parmi vos morceaux de l'époque ? Sinon pourquoi les avoir choisis ?

Oui, les autres titres sont tous de Nabat années 90. Nous avons choisi « No armi » et « Nichistaggio » parce que c'était deux de nos morceaux du début des années 80 et ils étaient peu connus. « Nichistaggio » à l'origine est dédié aux anarchistes parisiens du début des années 1900, tu sais LA BANDA BONNO , LIABEUF, etc.

Avez-vous d'autres projets ? Avez-vous déjà eu des opportunités de passer en France ? Pensez-vous y venir ?

Des projets ? Oui , jouer, rééditer notre vieux matériel, faire au moins un autre disque. Nous aimerions venir jouer en France, même si nous connaissons peu la scène française.