RANGERS-CELTICS

Tiré de "Une vie pour rien?"n°3

Contrairement à ce que certains pourraient penser, ce n'est ni en Italie, ni à Londres que l'on trouve le "meilleur" derby européen. Pour tous les supporters toutes tendances confondues, c'est bien en Ecosse qu'il se situe. En effet, c'est dans ce pays que les inégalités (richesse et autres) et les différences (religieuses, politiques...) entre habitants et donc supporters sont, le plus marquées et revendiquées par les différents camps. Cela fait plus d'un siècle que s'opposent les deux principales équipes de Glasgow , la première confrontation datant du 28 mai 1888 , année de la création du Celtic.

Pour bien comprendre la particularité de ce derby, il faut revenir vers 1850, période durant laquelle l'Irlande connaît pas mal de problèmes (famine, pauvreté...). Résultat, de nombreux Irlandais s'exilent. Les plus riches rejoignent l'Amérique, les autres se dis­persent un peu partout en Europe et notamment à Liverpool et Glasgow. Dans ces deux villes vont alors se développer de nombreux clubs de football. Les plus importants seront bien sûr Everton et Liverpool FC dans la première et le Celtic et les Rangers dans la sec­ onde. Rapidement ces différents clubs prennent une couleur religieuse et politique.

A Glasgow, c'est en 1873 que se crée tout d'abord les Rangers et en 1876, ils s'installent dans le quartier de Govan. En 1887, le stade d'Ibrox Park, qui est toujours l'antre de l'équipe, est construit. Lorsque le Celtic est fondé, les Rangers sont déjà très popu­ laires mais le premier match (5-2 pour le Celtic) en 1888 n'attire que 2.000 personnes. Pourtant la confrontation a lieu tous les ans et à partir de 1900 c'est plus de 50 000 personnes qui assistent régulièrement à ce qui devient progressivement « The Old Firm Game » (le vieux classique). Bientôt ce match devient une affaire juteuse pour les deux clubs qui s'y retrouvent financièrement. Les supporters des deux clubs s'entendent alors très bien. Les seuls incidents à déplorer sont dûs à des mouvements de foule mal contrôlés et non à des bagarres entre fans. Le plus gros incident survenu à cette époque a lieu en 1909 au stade d'Hampden Park (le plus grand stade de Glasgow) en finale de la coupe d'Ecosse. Après un match nul entre les deux équipes, les spectateurs des deux bords ne quittent pas le stade et s'énervent pensant à un arrangement entre les deux équipes pour rejouer le match et faire ainsi repayer les places. Le terrain est envahi, les poteaux de but sont arrachés, le feu est mis à certains endroits du stade. Les pompiers voulant intervenir sont accueillis par d es jets de différents projectiles (pierres, bouteilles...). Des supporters sont arrêtés ce qui rend la foule furieuse qui s'en prend alors à la police pour les libérer. Résultat, au bout de 2 heures d'incidents, le bilan est de 108 blessés (policiers et spectateurs).

Les confrontations entre les deux équipes prennent encore de l'ampleur jusqu'à la première Guerre mondiale avec de plus en plus de spectateurs et un réel engouement populaire qui se traduit par une bonne ambiance. Il n'est ainsi pas rare de voir des supporters des deux équipes venir ensemble au match et fêter cet événement.

Après la première Guerre mondiale, les deux clubs vont prendre leur couleur politique actuelle. En effet, c'est en 1916 que le Sinn Fein gagne pour la première fois des élections et en 1921 est créée l'Irlande du Nord. Ces deux faits entraînent l'arrivée de nouveaux I rlandais protestants à Glasgow. Bientôt ils rejoignent les rangs des supporters des Rangers qui deviennent alors fervents loyalistes. La séparation déjà existante entre protestants et catholiques se retrouve alors dans le foot et c'est presque naturellement que Parkhead (stade du Celtic) devient la « propriété » de la communauté catholique. Les incidents vont alors se multiplier entre les supporters des deux camps aidés notamment par la création de groupes de fans (les « brake clubs ») qui suivent de plus en plus leur équipe à l'extérieur. Ces incidents ont lieu lors des confrontations entre les deux clubs mais aussi lors des rencontres plus anodines du champi onnat d'Ecosse. Durant l'entre-deux guerres, c'est d'ailleurs en Ecosse qu'ont lieu les incidents les plus importants du Royaume-Uni. Les partisans du Celtic appelés les Bhoys ont la réputation d'y être pour beau coup.

Les dirigeants des Rangers entretiennent la rivalité entre les d eux communautés puisque même s'ils condamnent toutes violences, ils n'hésitent pas à refuser dans leur équipe des joueurs catholiques. Au Celtic par contre, les dirigeants paraissent plus ouverts et accueillaient les joueurs quelque soit leur tendance politique ou religieuse. De plus cette rivalité permet d'intéresser une grande partie de la population au foot, cela entraîne une augmentation con­ stante du nombre de spectateurs ce qui est tou­ jours bien financièrement pour les clubs. D'ailleurs les Rangers deviennent (et sont tou­ jours) le club le plus riche du Royaume-Uni (plus que Manchester ou Liverpool) seul représentant de la haute bourgeoisie et du prolé tariat protestant, sa renommée est très importante et des supporters viennent de toute l'Angleterre les jours de match.

Jusqu'aux années 50, des incidents éclatent de plus en plus fréquemment (bagarres, jets de projectiles, envahissements de terrain...) ce qui entraîne une série de mesures répressives. Le nombre de places est limitée mais surtout tous les drapeaux/emblèmes n'ayant aucun rapport direct avec le sport ou le pays (Ecosse et Angleterre) sont interdits. Cette mesure entraînera toute une affaire puisque cela implique l'interdiction des drapeaux irlandais (jugés provoquants) qui étaient régulièrement brandis dans la « Jungle » (tribune des Celtics). L'Union Jack affiché régulièrement par les fans des Rangers est par contre tout à fait autorisé. Cette décision entraîne bien sûr la colère des catholiques toujours prêts à défendre la cause irlandaise. Les incidents ne font donc qu'aug­ menter et rapidement les drapeaux quels qu'ils soient recommencent à flotter sur les stades.

Le 25 mai 1967, le Celtic gagne la première coupe des champions (contre l'Inter de Milan) pour un club du Royaume-Uni. Le club y gagne en popularité mais surtout, le comportement des fans a été très apprécié sur le continent et les supporters catholiques perdent peu à peu leur réputation de « violents ».

En 1971, une nouvelle catastrophe vient endeuiller les supporters écossais. A Ibrox Park -stade des Rangers- lors du tradi­tionnel derby (1-1), un but est marqué par les locaux à la toute dernière seconde du match. Des spectateurs qui avaient commencé à sortir du stade décident de retourner en tribune fêter cette égalisation miracle de leur équipe. Ils se heurtent au flot des supporters voulant sortir ce qui entraîne une gigantesque bousculade dans l'escalier derrière la tribune. A la fin de la soirée, on compte plus de 60 morts et une centaine de blessés. Si ce n'était pas le premier accident de la sorte à cet endroit, c'est en tout cas le plus meurtrier. Cette catastrophe paraît rapprocher les deux communautés puisque le Celtic fait don de fonds au profit des victimes protestantes. Mais cela ne dure qu'un temps et les provocations des deux côtés continuent à fleurir : les chants pro-IRA s'opposent toujours à l'Union Jack et aux insultes anti-pape et anti-catholique.

Alors que les supporters des «Celts » bénéficient peu à peu d'une image plutôt positive, c'est au tour des fans des Rangers de prendre la relève au niveau de la violence. Le pire se produit lors de la victoire en finale de C2 dans le stade de Barcelone (1972). Après la victoire des Ecossais et un envahissement de terrain, de nombreuses bagarres éclatent entre supporters de Glasgow venus en grand nombre et la police. Ces incidents s'expliquent sans doute par le fait que dans un pays catholique comme l'Espagne les provo­ cations des protestants n'aient pas été du goût de la police réputée d'ailleurs très violente.

Les supporters des Rangers se distinguent une nouvelle fois en 1980. A Hampden, le Celtic remporte une nouvelle coupe d'Ecosse contre leurs éternels rivaux. Les flics désertent peu à peu le stade pour surveiller l'extérieur mais les fans des Gers restent à l'intérieur, envahissent le terrain et foncent sur le camp d'en face qui répond immédiatement. Une bagarre assez impressionnante s'en suit, ces incidents sont jugés très graves par les instances écossaises qui interdisent à partir de ce moment la consommation d'alcool dans les stades. Après ce match, les dirigeants des deux clubs jouent l'apaisement et les incidents se font de plus en plus rares en Ecosse, les hooligans anglais ayant repris le flambeau.

Une nouvelle affaire va tout de même secouer la ville de Glasgow et l'E cosse entière en 1989 : c'est l'affaire Mo Johnston Ce joueur du Celtic, avant-centre et international écossais, revient au pays après un séjour de deux ans au FC Nantes. Catholique et supporter du Celtic depuis son enfance, il n'hésite pas à rompre son contrat avec ce club pour signer chez les Rangers pour une his­ toire d'argent. La nouvelle entraîne une vaste protestation de la part des support­ers des deux camps. Les catholiques lui reprochent de les avoir trahis et les Gers ne veulent pas d'un joueur comme lui prêt à retourner sa veste à tout moment. Il était déjà arrivé que des joueurs (même catholiques) soient transférés d'un club à l'autre mais jamais cela n'avait entraîné une telle crise. En effet, Mo était la star adulée par un camp et haï par l'autre. Les supporters se déchaînent au travers de leurs fanzines respectifs, dans « Follow, Follow » n° 8 (zine des Gers) Mo prie Dieu de lui pardonner sa signature alors que dans « Not the View » n° 14 (l'un des zines les plus lus du Celtic), il est qualifié de pire catholique depuis Heinrich Himmler. Lors du premier derby où il joua sous ses nouvelles couleurs bleues, Mo Johnston fut conspué par les deux camps. Pendant de longs mois, le joueur ne put sortir de chez lui sans gardes du corps.

Depuis cette affaire, les incidents se font très rares car les dirigeants font tout pour apaiser leurs troupes mais la tension et les rivalités entre les deux camps sont toujours présentes lors de chaque match. Par exemple, en 1993, lors d'un match de coupe d'Europe à Parkhead, le speaker fait respecter une minute de silence en mémoire des Rangers en passe d'être éliminés de la C 1. Si cela fit beaucoup rire les spectateurs, le speaker fut lui limogé. Enfin, le Old Firm continue à se jouer plusieurs fois par an (les deux équipes se retrouvant en championnat, en coupe…) et toujours à guichets fermés avec une ferveur inégalée.