SOUL INVADERS

Tiré de “Une vie pour rien? » n°5-Mai 2002

Si Belleville a toujours une place particulière dans le paysage parisien, ce n'est pas pour rien: le quartier est resté un village, véritable quartier populaire avec ses cafés remplis d'habitués, ses commerces aux couleurs du monde, et... ses groupes de musiques, dont les membres sont souvent les mêmes d'ailleurs que les habitués précités... On aurait pu aller interviewer les rockers de Belleville Cats, les cow boys de Massey Fergusson Memorial, mais allez savoir pourquoi, en entrant aux Folies, le bar le plus proche du métro, après avoir pris une bière, nous sommes plutôt allés voir les rasés: pour la oi!, il y avait bien Voices Of Belleville, pas dur à trouver vu que le chanteur ne change pas trop de place en général d'un jour sur l'autre. Malheureusement, après un bon 45T et une dizaine de concerts en un an et demi environ, ils ont splitté à la rentrée 2001. Et puis de toutes manières, on les avait déjà interviewés dans "Les Caves se Rebiffent" (n°7). Ils devraient tout de même à priori (mais bon rien de fait) enregistrer quelques titres inédits, notamment "Les Poings sur les zieg" qui a fait sensation chez pas mal de gens apparemment, pour un deuxième EP.

On prend les mêmes et on fait du ska, pas vraiment, puisqu'il n'y a que Martin le bassiste en commun dans les Soul Invaders. On va donc aller voir Olive le chanteur et Christophe, le guitariste, pour voir un peu comment ils voient le groupe. Ces deux-là ont la trentaine, et n'en sont, comme les autres membres, pas à leur première expérience, les membres du groupe commencent d'ailleurs à bien se connaître, puisqu'ils ont commencé pour une partie ensemble dans Les Directors, puis Les Rodhians, avec qui ils ont fait plusieurs concerts avant de se séparer, certains voulant plus faire du reggae roots, d'autres plus ska/ rocksteady. Ils se sont donc recontactés l'année dernière avant de faire leur premier concert sous le nom de Bumpers avec les Belleville Cats au café juste au dessus dans la rue de Belleville à l'occasion des Ateliers/ Portes ouvertes de Belleville. Un public plutôt varié à cette occasion, et pas seulement dû aux connaissances de Christophe, qui habite depuis pas mal d'années dans le quartier: " Le public suit les groupes à Belleville, certains ont des dégaines de rockeurs, mais ils ont une culture reggae/ ska, comme Kamel le chanteur des Belleville Cats. C'est bien de jouer dans les bars, même si avec le nombre sur scène, maintenant on ne peut plus trop, il y a une ambiance festive qu'il n'y a pas dans une salle normale. ". Pour le style du groupe, ils sont en général définis pour les concerts comme ska et skinhead reggae, mais Christophe trouve qu'il y a des influences plus larges: " Il y a quand même un côté rock dans le groupe, il n'y a pas forcément une structure vraiment respectée, typiquement ska par exemple, les gens peuvent un peu retrouver ce qu'ils veulent y chercher. On a énormément de mal maintenant à définir notre musique. Je pense que c'est parce que plusieurs membres du groupe qui ont la trentaine ont une culture musicale très large. Je ne conçois pas de faire de la musique et que ce soit toujours la même chose."

Depuis, le groupe a eu l'occasion de jouer avec des groupes comme Viking's Remedy, Moon Hop, 8°6 Crew, alors, est-ce qu'il est facile de jouer sur Paris? “Paris, niveau salles intermédiaires, c'est quand même assez pauvre, des salles de 2-500 personnes, ils n'y en n'a pas tellement, après les cafés, on arrive tout de suite à l'Elysée Montmartre ou le Divan du monde, qui sont d'un autre niveau. Au niveau des conditions dans lesquelles on a joué, on est satisfaits en général, Rennes, au “Dance Ska La” en novembre, où on a été invités suite à la défection d'un des groupes, c'était exceptionnel pour le son et le reste.” Ils ont d'ailleurs sortit une démo en CDR issue de ce concert, même s'ils n'en sont pas totalement satisfaits, ils pensent que le groupe a beaucoup progressé depuis, et qu'à leur dernier concert au nouveau Casino à Paris ils étaient bien meilleurs.

Lorsqu'on demande de quelle scène ils se sentent proches, pour Christophe toujours: “Globalement je me sens proche de la scène musicale, ça ne me dérangerait pas de jouer avec un groupe de punk par exemple. Je ne pense pas qu'il y ait de problème vraiment pour mélanger les styles : quelqu'un qui dit qu'il aime le reggae et qui n'aime pas le ska ou la Soul music, je me pose de questions s'il aime vraiment le reggae. Moi j'aimerais bien qu'il y ait plus de dreadlocks aux concerts de ska, aux concerts des Specials, il y en avait par exemple. Mais sinon pour les groupes intéressants, il y a notamment Jim Murple, on aurait pu peut-être jouer avec eux au New Morning, si on avait pas eu un problème de batteur à ce moment. ".

Pour les paroles, si certains groupes de ska n'y attachent pas beaucoup d'importance, Olive n'est pas de cet avis là: “Dans ce que je qualifie de paroles “sérieuses”, il y a “Belleville” et “Mohamed Ali”. Après c'est plutôt des atmosphères, comme “King Suckerman”, inspirée d'un bouquin de George Pellecanos, qui parle de personnages complètement décalés dans les années 70, c'est en relation avec la période blaxploitation. Les autres paroles, c'est plutôt du slackness, “King of rudeness” est directement influencé par Judge Dread dans les paroles. Je ne ressens pas le besoin de passer des messages extrêmement forts mais si “King suckerman”, ça peut attiser la curiosité de certains sur les livres de Pellecanos, c'est un plus, de même si “Mohamed Ali” ça peut attirer l'attention de certains sur la vie de ce gars là, le mouvement des luttes sociales aux Etats Unis. A propos de ce titre, on a fait la chanson avant le tapage qu'il y a eu autour du film, c'est une coïncidence. Quand j'étais môme, tout le monde se prenait pour Mohamed Ali, et à un moment de ma vie, je me suis mis à fond dans la boxe, c'est un sport qui te donne une volonté d'acier. Et en me cultivant sur la boxe, j'ai lu des trucs sur le personnage, qui est extraordinaire. Je voulais donc faire un témoignage là-dessus, et raconter le combat de Kinshasa, qui est un des plus grand événements du siècle. La gars a été privé de tout, il a été en prison, changé d'identité, il est contre un pays entier, se met au banc des nations en se prononçant contre la guerre du Viet Nam, et quelques années après il redevient champion du monde, pendant ce temps là, il y a un combat politique énorme avec la défense des minorités ethniques aux Etats-Unis, notamment la minorité noire. Et finalement il va gagner, être jugé comme un des plus grand personnages du siècle aux Etats unis. Au delà du combat politique, il y a le combat de l'homme qui a le syndrome de Parkinson, et qui va quand même continuer à combattre. Toute sa vie est un combat, que ce soit sur le ring, au niveau politique, ou contre la maladie.”

A propos de “Belleville”, c'est Christophe qui est plus bavard: “On parle de l'histoire du quartier, mais je voulais aussi qu'on parle des endroits, des Folies, chez Oumy, j'ai un ami qui est allé à Dakar il y a peu, il a rencontré des gens qui connaissaient les Folies ! On ne parle pas d'anti-racisme, on veut tout simplement dire qu'il y a des gens qui sont sympas, habillés en boubou, tu es accueilli chez eux extraordinairement. Je crois qu'il y a une réelle fascination dans le groupe pour les personnages à la fin 60's à 75 qui ont exprimé les revendications des minorités à dire “On existe, on n'est pas que des boxeurs ou des musicos”. Pellecanos le résume bien dans ses livres puisqu'il est d'origine grecque, mais il a grandi dans le ghetto, et là tu te demandes comment un pays comme les Etats-Unis a pu traiter les noirs comme de la merde, même dans les années 60, bien après la guerre de sécession. On résume la France telle qu'on l'aime, on n'a pas besoin d'être champion du Monde de foot avec une équipe multicolore pour ça. Et Belleville, ça reflète bien ça, ce serait pas mal que Sharon puisse venir faire un tour, avec la communauté juive et musulmane qu'il y a ici, il comprendrait peut-être qu'on peut arrêter de se taper sur la gueule.”

On va parler un peu des projets pour finir, puisqu'ils viennent d'enregistrer pour un EP à sortir en autoprod, “l'enregistrement a été dur, très peu avaient l'expérience du studio, mais on a réécouté les bandes et on en est contents. A part Martin, parce que Martin il n'est jamais content.”, le titre du disque sera “Mohamed Ali”, et pour la face B, elle est encore à définir.”. La motivation est là, et toujours la même qu'aux débuts pas très lointains du groupe: “On est une bande de bons copains, on aime cette musique et on s'est rencontrés dans ce milieu. Alors on va continuer à s'amuser, essayer de trouver un son à nous, et essayer de jouer un maximum, notamment en province.”