LES TECKELS

Tiré de “Une vie pour rien? » n°3-Décembre 1998

Un bar quelque part dans le 13 ème , Eddie et moi attendons Fabrice, le chanteur des Teckels. Le voilà et pour ceux qui ne l'ont jamais rencontré, Fabrice est bavard : pas besoin de poser de questions, il n'aura aucun mal à nous remplir deux heures de bandes. Voilà le résultat, et surtout ne les manquez pas en concert, on ne s'en lasse pas (et on sait quelque chose !)

Comment vous êtes-vous formés ?

Nous nous sommes formés le jour de l'an 1997. Nous faisions une fête dans un grand local avec des potes qui jouaient tous dans des groupes : il y avait Steve and the Jerks (punk 60's), No Talents (punk rock), les Kogars (instrumental surf 50's)… il manquait tout de même un style dans tout ça. On s'est mis des chaussettes sur la tête et on a commencé à jouer, on s'attendait à faire juste l'apéritif et puis surprise, finalement on s'est dit on va répéter.

Pourquoi ce nom ?

On voulait un nom qui ne sonne pas trop français mais avec tout de même une particule, ne pas prendre le risque qu'un groupe anglo-saxon ait le même nom (en anglais, « Teckel » se dit « dachsund »). La définition du dictionnaire, c'est tout de même « chasseur de blaireau », c'est des petits chiens courageux et puis ça fait beaucoup de bruit ! Quand nous nous sommes formés, il y a eu un fait divers : 2 teckels ont dévoré un bébé. Horrible et incroyable ! ! !

Quelles étaient vos motivations pour former le groupe ?

On rêvait tellement de voir des gars chanter « On the streets » déguisés en andouilles. Quand tu vois des gens qui prennent leur pied sur scène, la moitié du chemin est fait. C'est bien de faire de la oi ! car on peut se marrer sur scène. Mais Les Teckels n'est pas un groupe accessoire juste pour délirer, on aime vraiment ça, surtout la période 1976-82.

Aucun membre du groupe n'a été skin même si on connaît bien ce milieu, ma prof d'histoire-géo était la mère de Géno, j'ai fait un groupe de cold-wave avec le bassiste de Tötenkopf, les Zurück-Placenta. On aime bien le look skin 69 mais on ne veut pas être assimilés aux chasseurs ou aux boneheads. Par contre, il n'y a pas de pièce rapportée, on est tous des amateurs de oi ! depuis des années et c'est la réponse à une grande frustration, poil au pied !

Pourquoi chantez-vous en anglais ?

En général, on ne comprend pas ce que disent les groupes. La musique est pour nous plus importante que les paroles, sinon il y a beaucoup de groupes que l'on écouterait pas. Que le nazi qui n'a jamais posé un disque de ska sur sa platine ou le red qui n'a jamais écouté les « tournevis » me jette la pierre, même si ça doit exister. On va tout de même faire des morceaux en français et on a un titre « pas vraiment » sur toutes les maladresses des groupes français. Par exemple, quand Névrose dit « sentant mon gland en érection », un gland, ça ne peut pas être en érection… Si tu écoutes bien « péril rouge », pendant des années nous l'avons chanté « Béret vert » (Ndrl : J'ai essayé et ça n'a pas été très convainquant, c'est peut-être parce que j'étais à jeun…)

Tu me disais que vous ne vous intéressiez pas spécialement aux fanzines, Iwan fait un label, « Wild wild », comment fait-il pour la distribution ?

Il préfère pour connaître les groupes une discussion autour d'une table. Wild wild est maintenant reconnue comme une maison sérieuse et Iwan a donc moins de difficultés de distribution. Pour parler de wild wild records, nous sommes une équipe d'une quinzaine de personnes, plus ou moins amis, qui écoutons absolument de tout, sauf du heavy-métal et du zouk. On peut croiser des membres des Teckels dans des soirées mambo ou techno quand on a envie de transpirer. Aux concerts rock'n'roll garage, on ne verra que 2 ou 3 membres, aux concerts oi !, principalement 2 et par contre, dans les concerts punk-rock, nous y sommes tous les 4.

Tu dis que vous écoutez toutes les musiques, pensez-vous être écoutés par tout le monde ?

On pense que les gens ont besoin de revenir à des valeurs simples, ils ont besoin de s'amuser par rapport à la solitude, le cocooning, les ordinateurs…

Sinon qui écoutera Les Teckels : les copains, il n'y a que ça de vrai, à partir d'un certain âge (à 4, on doit avoir plus de 130 ans). Il n'y a rien de mieux que les potes, une casserole de pâtes, de la bière (tout sauf la kro de base), un disque d'Antisocial derrière, et parler de tout sauf de zique, quelques fois, il n'y a pas besoin d'en parler, c'est notre vie. On préfère jouer devant 40 copains que devant 3000 inconnus, de la même manière que c'est un plaisir de voir des copains jouer.

 

Espace B.

Les Teckels et la oi !

La oi ! c'est un état d'esprit, nous sommes des gentils pas contents, pas commodes et pas satisfaits du système. Même si nous ne sommes pas fils de prolo, comme beaucoup de gens finalement dans cette scène, je crois qu'il faut respecter la classe ouvrière, c'est une des seules choses que j'aime dans certains pays comme l'Union Soviétique. Ce n'est pas normal de se faire traiter comme des chiens au boulot. Non, vraiment pas normal !

Nous aimons la musique qui est simple, qui va à l'essentiel. Un bon morceau de oi !, c'est un couplet, un refrain que tu n'as jamais entendu, et la deuxième fois, tu n'as pas compris les paroles mais tu t'en fous, on parle pas anglais, tu as envie de le chanter ; le lendemain tu rechantes le refrain et tu as le sourire et c'est déjà pas mal. On aime beaucoup le côté convivial de la oi ! sans parler des skins même si ça fait partie de la culture, il n'y a qu'à voir dans les vieux groupes anglais, les mecs n'ont plus des dégaines de bootboys ou de skins 69. J'ai beaucoup souffert dans les années 80 parce que je n'étais pas skin mais j'étais branché oi !.

On adore le son anglais début 80's, Sham 69, Cockney Rejects, The Last Resort qui nous réunit tous les 4 dans Les Teckels. C'est lourd, c'est ce qui fait la différence avec le punk classique, il y a énormément de rock'n'roll dans la oi !. On peut dire que Last Resort est au début des années 80 ce qu'étaient les desesperate rock'n'roll aux rockab' classique. Le son de cette période est très bon, ils avaient également de très bons studios.

Quelque chose qui nous tient à cœur : la oi ! est un style de musique à part entière, ce n'est pas le parent pauvre du rock. Il faut être fier d'en faire et d'en écouter. A la télé, on ne montre que des chanteuses avec des nichons comme ceux de la serveuse, des Pascal au bistro, on ne porte aux nues que des escrocs, des voleurs, des radasses… Ou quand on voit des Negu Gorriak qui prônent la libération de terroristes, jouent devant 3000 personnes alors que des groupes oi ! qui parlent d'histoires de bière disent leur mécontentement du système, ne font que des concerts à 120 personnes (même si c'est sympa), ce n'est pas normal.

Ce qu'on adore dans la oi !, c'est plein de petites mélodies amusantes qu'on peut chanter dans la voiture à la façon des mélodies enfantines. On aime également le côté mélancolique par rapport aux illusions perdues, à la droiture, au respect de l'autre, à l'amitié… Ce qui a été développé de façon moins franche et simple par le hardcore cross-over américain, entre 1980 et 1992-93. Ce n'est que maintenant que la oi ! est comprise autre part qu'en Angleterre, il y a un revival oi !, qui ne va pas durer, il ne faut pas rêver, amené par le HC américain. Il y a eu une coupure il y a 2-3 ans au niveau du hardcore, des groupes sont allés vers le métal, des gens se sont tournés vers la techno, d'autres vers la oi !.

Vous êtes des amateurs de hardcore ?

Nous sommes 2-3 à écouter beaucoup de NYHC. C'est spécial la mentalité américaine, quand Agnostic Front crie « Unity black and white », je ne crois pas que le black qui vit dans un ghetto sache ce qu'est un skinhead alors qu'en France, tout le monde en a entendu parler ou a déjà rigolé en croisant un psycho. Enfin, c'est courageux tout de même de leur part, dans un pays tellement superficiel de parler de dialogue, de communication. On ne se sent pas trop concernés par la mentalité straightedge, on arrive à des intolérances presque aussi importantes que certains groupes politiques. Le groupe qui a totalement l'esprit oi !, c'est Sick of it all, le chanteur rigole en chantant. On a l'impression que ces mecs là ont découvert la oi ! anglaise il y a 5 ans, ils se mettent tous à ralentir et c'est bien. Ce n'est pas facile d'avoir un verre de bière à la main, de parler à un copain et de reluquer une petite bird mignonne au fond de la salle quand ça joue à fond…L'ambiance dans un concert oi !, c'est autre chose qu'à un concert hardcore, il n'y a pas mieux à part quand c'est politique.

Vos paroles, elles ne sont pas politiques, ce sont plutôt des délires…

La oi !, c'est politique, c'est sûr que ce n'est pas avec 200 personnes dans une salle de concerts qu'on va changer les choses, mais le gars qui se lève le matin et se dit « hier soir j'étais avec 200 personnes qui ne veulent pas se laisser marcher sur la gueule », c'est déjà pas mal. Les 4-Skins sont à la oi ! ce que les Ramones sont au punk. Les guitares et les basses se suivent, pas de solos, pas besoin de discours politique puisque ces mecs là sont politiques, ni nazis, ni rouges, c'est 4-Skins. Gueuler sur la société, des trucs politiques, c'est bien, mais quand des gens ont fait l'effort de se déplacer en semaine, de payer 40 balles pour voir un groupe, c'est qu'ils partagent relativement le même esprit. Les zicos ne viennent jamais aux concerts punk-oi ! de même que les punks à chiens, le résidu du rock alternatif. On est pas là pour se faire chier mais pour voir les potes, faire de la bonne musique. C'est important dans notre solitude, insatisfaction de voir des gens qui pensent à peu près comme toi…

Que pensez-vous de la scène française ?

Le problème, c'est qu'en France la plupart des groupes joue sur le look et ne va pas à l'essentiel. Il faut tout de même être exigeant et avoir un certain respect du public, un concert ce n'est pas payer 40 F pour montrer ses dernières kick, il n'y a pas de milieu plus coquet à part les mods… Mais il y a des très bons groupes , comme les excellents 8°6 Crew. Par rapport aux groupes français, pour nous il n'y a pas du tout de concurrence. Nous aimerions qu'il y ait 4-5 autres groupes comme P38 ou Ethylic System, qu'on puisse se faire des petits festivals toutes les semaines dans une petite ville de province. Ce n'est pas facile de faire de la bonne oi !, mais l'important qu'on fasse un groupe, un fanzine, c'est de faire quelque chose.

Les Teckels m'ont tout de suite fait penser à Hardskin, aussi bien pour la musique que pour l'esprit. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que vous vous foutez aussi de la gueule des skins, notamment dans les nombreuses reprises/adaptations que vous jouez ?

Hardskin, ça a été une grande tarte dans la gueule. Nous existions depuis 3 mois quand l'album est sorti, ça a été très motivant. Ce disque, c'est ce qui nous a poussé à réenregistrer le maxi 45T. Le seul gros reproche qu'on leur fait, c'est de ne pas pouvoir les voir en concert. Je ne sais pas si Hardskin, c'est seulement pour se foutre de la gueule des neusks, même s'il y a une critique des bourrins. De toutes manières, vu le nombre de clins d'œil aux classiques, ils ont forcément écouté beaucoup de oi !… Pour nous, il n'y a qu'un seul morceau dont on se moque un peu c'est « La force reste la loi », c'est tellement simpliste, j'aimerais bien être plus souvent dans le public pour chanter des conneries «  la Corse reste la loi »…

Il y a un morceau qui n'était pas massacrable, c'est « Adolescent » de Warrior Kids, on connaît tous ce morceau depuis des années, on rigolait sur « tu t'es flingué » avé l'assent. Je crois qu'en France, c'est notre « Crucified » à nous, le 33T est une merde mais le 45T, c'est vraiment une merveille. Et puis merde quand on est adolescent, on a beaucoup de haine dans son âme…

On reprend aussi « on the streets » de 4-skins, qui est devenu « j'aime les treets » et « Teckels Boys » pour « Ulster Boy » de Sham 69.

Vous reprenez également « Crucified » mais pratique peu courante par les temps qui courent, version Iron Cross.

Ce morceau est bizarre dans sa version originale, car il est mal joué avec un sale son. Il y a ensuite eu une course avec le NYHC, nous en répète, on le joue encore plus lentement. C'est froid, les paroles sont limite parano, c'est génial !

Sur la compil « We are a happy family », vous disiez « No future, juste un petit 45T », alors ?

C'est Laurent, le gars qui a fait la compil qui a mis ça, mais c'était surtout par rapport au label No Future. On aime beaucoup l'esprit No Future qui pouvait sortir des groupes oi ! aussi bien que des groupes comme Violators, qui sont de la pré cold-wave. Les 3 titres sur cette compil ont été enregistrés sur un simple magnétophone. « Mucky pop » a été réenregistré pour « Braces and Donkey ». A ce propos, tout le monde critique Fred Skarface car il vit de ça, mais il a le mérite de sortir des compilations, les gens qui avaient envie d'y être y ont été, les autres non, mais on a pas à juger. Sinon, 2 morceaux sur « Pogoting with the frogs » et un morceau en faux russe ( ? !) sur Combat Rock « Dites-le en trois accords ».

Désormais, pour nous on arrête les compilations. On ne sortira jamais d'album, car c'est très difficile de sortir un 33T qui tienne complètement la route. Par contre, on veut sortir une flopée de 45T. Le prochain sera vraisemblablement sur Euthanasie. Le maxi 4 titres sur Wild wild records s'appelle « Ouah ! Ouah ! Music four Working class », il a été enregistré par Nickus, guitariste des Warum Joe et putain, qu'est-ce qu'on a rigolé et bu pendant l'enregistrement !

Le mot de la fin

On aimerait beaucoup jouer en province. On a encore plein d'idées de déguisements.