WARRIOR KIDS

Tiré de « Une vie pour rien ? » n°5-Octobre 2001 (photo archives Marc WK)

Pas besoin de présenter les Marseillais à priori, d'autant que leur reformation a fait pas mal de bruit, avec le repressage de l'intégrale, un excellent concert à Paris au club Dunois début 2002 devant plus de 4-500 personnes, et avant, deux concerts à Marseille en octobre 2001 au moment de la sortie de l'intégrale. C'est à cette occasion que j'ai attrapé Marc à la sortie du concert du vendredi, sorte de répétition générale du concert de samedi.

Pour commencer par la fin, comment vous vous êtes retrouvés là, ce soir?

Ce n'est pas une reformation. J'ai arrêté la musique pendant trois ans. Je jouais du rock avec mon ancien groupe après les Warrior Kids, et Momo que je côtoyais sur Marseille m'a dit " il faut qu'on fasse la réédition du Warrior Kids ". J'étais OK, on n'avait pas les bandes mais on a retravaillé le son sur ordinateur. Le son est satisfaisant par rapport à ce qu'on espérait sans les bandes. On a remasterisé, mis des photos et on a ajouté un inédit que j'ai retrouvé par hasard sur une vieille cassette pourrie, " Defferre ", sur le maire de Marseille, qui était plus ou moins interdit vu que c'était tout de même le parrain à Marseille. Et puis, je me suis dit si on le fait, il faut qu'on joue vu qu'on avait pris notre pied en 91. Ceci dit en 91 on était moins prêt que maintenant, on avait monté 6-7 morceaux, on a joué 3 ou 4 fois " Adolescent " ou " Espoir ", les mecs en voulaient toujours ! Cette fois on s'est dit il faut tout jouer, on répète depuis le mois de mai, et puis on s'est dit on va faire une surprise : on a monté deux morceaux nouveaux. J'en avais plus mais j'aime bien peaufiner mes textes. La seule connerie qu'on aie faite, c'est " don't tell me lie ", on avait fait un 45 sur commande, je n'avais pas de texte qui me satisfaisait, j'ai foutu un truc en Anglais.

A propos de " Deferre ", tu disais que c'était plus facile maintenant pour faire des chansons du style ?

Oui, maintenant tout le monde en fait. A l'époque j'étais inconscient, j'ai fait " Deferre ", j'avais 17 ans, " Deferre tu es compromis, mais tu fais partie du pouvoir, et la justice de ton pays cache tes crimes et tes histoires ". Il fallait être un peu allumé, on était à côté de nos pompes.

Oui, enfin, il y en a qui ont fait pire, quand même, les Pistols dans un autre contexte par exemple.

Les Pistols, c'était des stars, nous on n'était pas des stars, on n'était rien du tout, et chanter Deferre à Marseille… Enfin je pense que c'était plus compliqué de faire des morceaux politiques.

De quoi parlent les nouveaux morceaux ? Toujours nostalgiques ?

Les kids de l'Estrangin sur mes amis de l'Estrangin, la place où on se réunissait à Marseille (tout le monde après les deux soirs a trouvé ce morceau terrible, j'espère qu'on va l'enregistrer, ne serait-ce que pour nous-mêmes). Oui, les textes des Warrior kids, toujours un peu nostalgiques, et assez sociaux, " Ville morte ", " Enfants de l'espoir ", ce ne sont pas des textes vraiment politiques, mais on était concernés par la réalité de tous les jours. Le premier couplet est assez vaste, le refrain c'est : " cet air pour les kids de l'Estrangin je salue leur mémoire, ce verre c'est au nom de l'amitié que tous on va le boire ". Le deuxième couplet est une dédicace à des amis de l'Estrangin comme Cirage, et surtout Christophe et Dauphin qui ne sont plus là ainsi que Couscous le Parisien. Le dernier, c'est ce qu'on vivait : " je me souviendrai de ces moments que l'on passait sur les bancs à dévisager tous les passants d'un air toujours menaçant, qu'est-ce qu'on peut être fier parfois inconscient lorsque l'on n'a que vingt ans, car il reste des taches du sang de mes copains sur les marches de l'Estrangin ". C'est personnel, mais je pense que tout le monde peut s'y retrouver, comme les skins des Halles ou d'autres des années 80.

Et Cirage, alors, il a vraiment existé ?

Oui, oui, c'était un mec, on aurait dit qu'il se tenait avec un cintre, toujours les épaules en l'air, les docs, elles brillaient, tu te voyais jusque dans la lune. Il était super sympa, il ne savait pas qu'on enregistrait ce morceau sur lui, après il nous en a un peu voulu. Mais c'était le plus grand mythomane de la terre, il te racontait toujours des conneries. Combien de fois il a dit qu'il s'était embrouillé avec 10 mecs, qu'il les avait crevés. Cirage traînait souvent avec " Grognon " qui était souvent saoul et qui en plus avait une poisse! Juste une anecdote folle mais véridique: Un soir dans son quartier, Grognon attendait le bus, des mecs arrivent en bagnole et l'embarquent dans le coffre. Au moment de le buter, les mecs se sont rendus compte qu'ils s'étaient trompés de mec. A lui, il lui est arrivé plein de trucs qui n'arrivent à personne d'autre. Je l'ai revu récemment, il s'est fait embaucher à la sécurité d'un parking, le premier jour il y a bagarre, ça tombe sur lui, il se bastonne avec les mecs et se fait virer de son boulot. Il devrait se faire exorciser.

Et il viendra demain ?

Non, Cirage on n'a plus de contact avec lui.

Vous connaissiez les gars de Paris ?

On connaissait Cous, Nounours connaissait Albert et Farid, on avait fait des échanges de disques avec les Tolbiac's et Snix, on avait 100 45 tours. Et il faut savoir qu'en 91 on a vendu 300 45T à 10 balles pièce d'Adolescent/Les forces de l'ordre, on les avait à la cave et on ne les vendait pas, et la mère de Nounours, quand elle a vidé la cave, elle a jeté 80 disques Tolbiac/ Snix. Quand on voit le prix des disques aujourd'hui... C'est pour ça qu'on fait la réédition aussi, voire le LP à 600F ça ne me fait pas trop délirer (le 6 octobre lendemain de l'interview, j'ai appris que le LP était parti à 200 dollars). C'est comme le split avec Tolbiac, on n'était même pas au courant, après les mecs ils te parlent de loyauté dans le milieu…

Et tu as connu comment la oi ! et les skins ?

J'ai commencé avec le punk-rock et Forefinger, dans lequel Nounours chantait. J'ai continué avec le guitariste Karim. Un jour Nounours est venu avec des collègues skins, et nous a demandé pour partager le local. Moi je lui ai dit pas de problème et Nounours s'est vite rendu compte que ses collègues étaient un peu serrés au niveau de l'état d'esprit: il fallait que tout le monde soit skin, il ne fallait pas que Karim, qui était d'origine kabyle, joue, n'importe quoi… Comme il voulait faire un groupe sérieusement Nounours a atterri avec nous, avec un autre chanteur, Marco qui est vite parti. On a donc appelé Thierry qui chante la moitié des titres sur l'album. Après Karim est parti pour s'engager, il avait envie de se faire mater comme il disait, il faut comprendre, c'est respectable d'ailleurs puisqu'il a été au Liban, en pleine période mouvementée. Nounours voulait a tout prix y arriver, Thierry s'en foutait un peu, c'était donc un groupe de cinglés, ils se sont souvent battus. Ceci dit on était les meilleurs amis du monde, mais ils n'étaient pas sur la même longueur d'onde. On a enregistré le 45T à la hâte, j'avais17 ans. Je m'en rappelle, c'était à Montpellier, le soir, on était à l'hôtel, on s'est dit on va aller au cinéma, je voulais aller voir Taxi Driver, ils m'ont demandé la carte d'identité, je ne suis pas rentré !

En fait le groupe a duré pour moi entre 17 ans et 20 ans. C'est pour ça que quand tu te retrouves vingt ans après à avoir 20 ans encore une fois, c'est un cadeau divin. Après on est partis tous les deux à l'armée, Nounours et moi, et puis je pense que maintenant c'est plus facile. Avant il n'y avait pas grand monde, et puis c'était cher, le 33 nous a coûté 30 000 francs (50% à notre charge), aujourd'hui avec ça je te sort un son, la fin du monde ! Ça on ne l'avait pas, mais bon je pense qu'on avait quand même des compos. Ce qui me surprend c'est " adolescent ", cette chanson je l'ai faite en un quart d'heures paroles et musique. Sauf que les Teckels, ils se trompent quand même sur le refrain, il n'y a que quatre notes, mais ils font un do au lieu d'un ré. Et puis à l'époque ils ne nous ont pas demandé l'autorisation (plutôt si mais apparemment il y a un mec qui s'est fait passer pour Nounours et qui a récupéré nos exemplaires, putain c'est bien Marseille ça. D'après ce que je sais Iwan des Teckels va nous contacter et nous faire parvenir un exemplaire. Ouf, ça fait plaisir).

Comment vous avez connu l'arrivée de la politique par rapport à la scène skin ?

Un jour on prend 5 dates au Chocolat Théatre à Marseille, "donnez le nom du groupe", "Warrior kids", annulé. Ou alors on a fait une interview pour une radio d'extrême gauche, un anar appelle et parle des skins " à Londres ça se fritte, est-ce que vous êtes racistes ? ", le père Bonbon qui ne faisait pas partie du groupe prend le micro " moi je suis raciste et je t'emmerde ". Ça nous est retombé dessus, obligés de faire une déclaration anti raciste avant un concert. On nous a demandé récemment si on prenait un gros cachet pour le concert, j'ai répondu qu'on prenait un énorme cachet d'aspirine, car on nous a bien cassé les couilles sur les forums (internet).

Enfin pour moi, ce qu'il y a de plus beau dans le mouvement skin ce sont les origines, nous on écoute du ska, du reggae, de la soul, des trucs two-tone. Je trouve que le mouvement se durcit vers le métal, c'est dommage, c'est un mouvement qui perd ses origines. C'est un mouvement qui était quand même multiracial, après, le côté patriote, ils confondent tout. En Angleterre ils ont tous des drapeaux anglais, qu'est-ce qu'on nous casse les couilles parce qu'on chante "Nouvelle Jeunesse" ! Mon grand père d'origine italienne naturalisé Français est mort en juin 44 dans les camps pour la France , on vient me casser les couilles en disant " vous êtes nazis ", il faudrait que je me justifie devant des mecs comme ça ! En plus je ne crois pas qu'il y ait réellement de vrais boneheads en France (c'est vrai qu'à l'étranger ça peut faire peur), pour ma part je n'en connais pas, les mecs le font pour la provoc et plus les reds les provoquent plus les mecs arrivent avec leurs croix celtiques et leur merdes et vice-versa. De toutes manières, les deux bords m'emmerdent. Heureusement que j'ai autre chose à penser que de me mêler de politique. La politique m'intéresse en tant qu'individu. En tant que membre de WK, le groupe me suffit. Les étiquettes sont données par des gens qui ont un besoin toujours de classer les autres par catégorie. Si ça les rassure, tant mieux. Pour ma part, j'ai autre chose à faire, et ces gens ne représentent qu'une belle bande de conformistes.

Enfin ce n'est quand même pas arrivé tout seul, tu as dû connaître ou au moins Nounours, s'il était souvent à Londres à l'époque ? C'est des trucs comme ça qui vous ont fait arrêter aussi ?

Nous on était à Marseille, il n'y avait pas de racisme, il y avait des arabes à nos concerts, notre premier guitariste, Karim était Kabyle, on lui a dédié le morceau " Soldat de la paix ", d'ailleurs on nous l'a reproché. Comme l'a dit Nounours dans les interviews, on les emmerde. On était tous branchés musique avant tout, on a arrêté parce qu'il n'y avait plus d'endroits pour jouer, Nounours et Thierry ne s'entendaient plus trop. Je pense qu'on aurait tourné sur des trucs plus ou moins mods, à l'image d'un nouveau morceau qu'on jouera demain.

Quand vous vous êtes reformés en 91, vous avez dit que vous n'avez jamais été skin, pourquoi ?

Non, ce n'est pas vrai, on a dit qu'on avait jamais été oi !. Si tu écoutes les morceaux de WK à part le premier 45T, c'était parfois ska, parfois reggae et parfois un peu punk, mais on ne faisait pas de la oi ! parce qu'on n'était pas intéressé que par ça. " Never mind the bollocks here's the sex pistols ", c'est le plus grand album de tous les temps ! La oi ! après, ça a été un peu une musique de feignant, les mecs faisaient trois notes, ils les faisaient mal, et il criaient : "oi ! la bière". On peut le faire le soir d'un concert en tant que spectateur mais bon, de là à en faire un texte.

Vous avez changé la fin de "Soldat de la paix" pour "it doesn't make it alright" de Stiff au concert, pourquoi? Uniquement parce que la mélodie collait?

Exactement, les 3 premières notes sont les mêmes, je suis parti dessus et on a ensuite improvisé et trouvé cela excellent. Il y a 2 intérêts à cela. Pour l'histoire ce morceau est un morceau des Specials que Stiff little Fingers a repris en reggae punk et en le terminant comme nous nous le commençons (c'était mieux pour l'enchaînement Soldat de la paix), ensuite nous le terminons comme eux le commencent (en reggae punk et c'est mieux pour l'enchaînement de Rafale).

Parlons un peu des textes de vos anciennes chansons, les paroles de " Rafales " ou " Soldat de paix " sont très critiques par rapport à l'armée, et pourtant tu dis " Nous nous battons pour notre drapeau " dans " Nouvelle jeunesse ", et vous disiez dans des interviews que vous n'étiez pas contre l'armée, il n'y a pas une contradiction ?

L'armée, ils m'ont envoyé à Reims ces enculés, je me suis gelé ! Pour "Rafale", c'est sur l'IRA et ce qui se passait à Belfast. Pour "Soldat de la paix", c'était notre pote qui était là-bas avec un fusil, il n'avait pas le droit de tirer mais il avait le droit de se faire tirer dessus. Et pourtant je ne suis pas anti militariste, j'ai fait l'armée, je voulais la faire, c'est toute l'ambiguïté de Warrior Kids. Tu peux aimer ton pays et avoir des reproches à lui faire, c'est notre devoir même. "Soldat de la paix", c'était plus un texte personnel sur un ami qui ressentait quelque chose là- bas, mais ça n'avait rien d'anti militariste. Et je pense que la France a souvent pris ses soldats pour des cons. Tu ne fais pas toujours ce que tu veux, quelquefois tu te fais manipuler, lui il est parti là-bas, et il a un peu flippé là-bas, il a été métamorphosé par ça. En ce qui concerne les contradictions, maintenant avec le recul, je les revendique. Pour une raison essentielle c'est que la jeunesse est toujours un peu contradictoire, l'expérience et une certaine " sagesse " ne viennent qu'en vieillissant. Mais je crois quand même que toutes ces contradictions font quand même avancer les choses et font mûrir les personnes. Il est certain que nous ne pourrions réécrire certaines chansons, et pourtant on peut continuer à les revendiquer même si nos préoccupations majeures sont autres.

La critique de Marseille sur "Ville Morte" ou "Marseille tombe", ça revient souvent.

Oui, c'est écrit de partout, et c'est l'ambiguïté de WK, on critique Marseille mais on adore Marseille. Ville morte, c'était vraiment ce qu'on ressentait. Il y a aussi Espoir (nous sommes les enfants de l'espoir dans Marseille ville du désespoir) et Defferre.

L'album "Les enfants de l'espoir" est assez noir dans l'ensemble, avec des textes comme "Rafale", "Soldat de la paix", "Ville Morte", mais il finit sur "L'espoir" quand même. Qu'est-ce que tu en penses quand tu tires le bilan, et que tu vois ce que vous êtes devenus?

Pour qualifier WK, je garderai le mot nostalgie, et un certain idéal. On voulait terminer l'album comme ça, c'est l'espoir et la nostalgie de la jeunesse. Pour moi, je n'ai pas mal tourné, je viens d'un quartier qui craignait vraiment, j'ai vu des amis d'enfance, finir drogués, sida. Même parmi les kids de l'Estrangin, il y en a deux qui sont morts (sans compter Couscous qui est remonté à Paris et est mort là-bas). Je m'en tire relativement bien. Le groupe m'y a bien aidé, la providence aussi.

René : Album noir, je ne dirais pas ça. Il y a quand même Cirage qui est relativement drôle, puis on parle de choses vécues donc c'est peut être la réalité qui est sombre pas nos textes.

Tribune libre

Merci à tous ceux qui se sont déplacés afin de venir nous voir en concert, cela fait chaud au coeur que certains aient fait beaucoup de kilomètres. Merci de tes questions aussi, tu es le premier qui pose autant de questions sur les textes des chansons et sur ce que l'on pouvait ressentir. Cela nous change des clichés habituels.